Splendeur du déficit budgétaire et misère de la rigueur
Par RST le mardi, 23 juillet 2013, 19:48 - Notes de lecture - Lien permanent
Ne vous arrêtez pas à son titre
totalement inadapté – "Splendeurs et misères du libéralisme" – car
c’est bien le seul défaut de l’ouvrage de l’économiste Michel Santi, par ailleurs
tout à fait intéressant, notamment parce qu’écrit par un praticien de la
finance qui nous explique comment, selon lui, l’économie devrait fonctionner. Dès
les premières pages, le cadre est posé : "(…) les déficits publics ne doivent rencontrer aucun obstacle ni
aucune limite, si ce n’est l’accomplissement de la raison même d’exister d’un
Etat, à savoir le rétablissement du plein emploi et la stabilité des prix"
et plus loin : "sans
déficit public, pas de croissance".
Ces propos, que ne renierait pas
le premier néochartaliste venu, constituent le postulat de base martelé tout au
long du livre, à partir duquel Michel Santi dézingue les politiques d’austérité
actuellement menées en Europe au nom d’une rigueur budgétaire que rien ne
justifie, si ce n’est " les carences
de nos modèles économiques qui n’intègrent pas la dette et qui, a fortiori,
passent totalement sous silence ses effets." Dans une sorte de cri du
cœur, il interroge : "Quand se
rendra-t-on enfin compte que seule l’augmentation du chômage dégrade les
déficits publics ?"
L’économiste franco-suisse passe en revue les différents sujets que l’on aborde lorsque l’on traite de macroéconomie et nous propose, un peu en vrac, sa vision des choses à laquelle on ne peut qu’adhérer dans l’ensemble. Ainsi il dénonce énergiquement l’abandon du pouvoir de création monétaire par les Etats et l’obligation qui leur est faite d’aller dans "l’arène" des marchés financiers. Il réaffirme le rôle de prêteur en dernier ressort d’une Banque Centrale, appelle au contrôle politique de cette dernière et alerte au passage sur les dangers que représente l’endettement dans une monnaie qui n’est pas la sienne. Assez classiquement, il critique la construction de l’euro et compare les difficultés rencontrées par les pays qui l’ont adopté à celles des pays « dollarisés ». Ses positions sur la construction européenne sont assez originales puisque, en schématisant, il reproche à l’Allemagne à travers son intransigeance actuelle, de se venger… du Traité de Versailles et des Réparations associées ! Pour lui, seul le fédéralisme sauvera l’Europe. Je ne partage pas cette conception des choses même si j’en reconnais la logique d’un point de vue strictement économique.
Avant de proposer ses solutions, il se livre à une critique en règle du monde de la finance globalisée pour qui "la fraude n’est pas une anomalie : elle fait partie intégrante du système, elle en est une composante incontournable". Il dénonce la course au profit qui "détruit nos vies et notre planète", les inégalités et s’attaque au mythe de l’autorégulation.
Quant à ses propositions pour remédier à tout ce qu’il dénonce, elles vont du contrôle des capitaux à l’augmentation des salaires en passant par l’inscription dans la Constitution, plutôt que de la fameuse Règle d’or, du droit au travail et au logement pour tous. Tout cela ayant pour préalable indispensable "une refondation (…) du rôle éminemment protecteur et régulateur de l’Etat"
Même si beaucoup de choses que l’on retrouve dans le livre de Michel Santi ont pu être écrites ailleurs par d’autres – on pense à Lordon, Orléans, Lavoie ou Giraud pour ne citer qu’eux – c’est la première fois à ma connaissance qu’elles sont énoncées par quelqu’un de "l’intérieur". Et ce n’est pas le moindre mérite de cet ouvrage que de nous proposer cette vision. Mais à l’arrivée, on se heurte toujours à la même difficulté : la situation est parfaitement décrite, les solutions semblent couler de source et puis … plus rien. Que manque-t-il pour passer du rêve, si je peux m’exprimer ainsi, à la réalité ? Que faut-il faire pour que les choses changent, en vrai ? Une partie de la réponse est donnée par l’ancien trader dans ce constat sans ambiguïté : "La finance – qui, aujourd’hui, détient toutes les clés de notre prospérité – s’oppose en effet à l’usage des déficits publics pour stabiliser et relancer nos économies, car elle est consciente que le retour de l’Etat signerait son arrêt de mort" C’est donc bien une lutte à mort qu’il va falloir livrer si nous voulons vraiment le changement. Y sommes-nous prêts ?
PS : Je vous recommande cette très bonne synthèse du livre par Adrien de Tricornot sur Le monde.fr et en pièce jointe