L’imposture économique
Par RST le mardi, 23 décembre 2014, 16:51 - Notes de lecture - Lien permanent
Lors de la
soirée de lancement du livre de Steve Keen, le 8 octobre dernier, j’eus l’occasion
de demander à l’économiste Australien ce qu’il pensait de la Modern Money
Theory (MMT) ou néochartalisme en français. Il me répondit en utilisant la
métaphore de l’éléphant : il a trouvé un morceau de l’animal qui est
dans la pièce et les néochartalistes en ont trouvé un autre mais ils n’ont pas
encore convergé vers la bête dans sa totalité, alors que les néoclassiques eux,
nient tout bonnement la présence d’un éléphant ! Cette réponse balaya les
dernières hésitations que je pouvais avoir à acheter son livre, déjà convaincu
que j’étais que l’économie est une imposture. Je ne peux aujourd’hui, après
l’avoir lu, que me réjouir de cette acquisition, et pas seulement parce qu’elle
est dédicacée par son auteur.
Je n’ai pas attendu
Steve Keen pour être persuadé que la théorie économique néoclassique, celle
enseignée dans les manuels, est une vaste fumisterie. D’autres me l’avaient
déjà fait comprendre comme par exemple, Bernard Guerrien dans « L’illusion
économique » ou Jean-Baptise Bersac dans « Devises – L’irrésistible
émergence de la monnaie ». L’originalité de Keen et son grand mérite sont
de prouver cet état de fait en retournant la théorie contre elle-même et en montrant
que les résultats auxquels elle devrait aboutir, si les démonstrations étaient
poussées jusqu’à leur terme de manière rigoureuse, sont soit absurdes, soit
différents de ceux qui sont communément admis. Citons, en vrac et sans nous
attarder, la courbe d’offre qui n’existe tout simplement pas, les rendements
marginaux qui sont constants plutôt que décroissants, le fait que c’est la
distribution du revenu qui détermine les prix et non l’inverse, que la loi de
Say est correcte dans une économie de production de marchandises mais invalide
dans une économie capitaliste, que la macro ne dérive pas de la micro, que le
rôle du crédit n’est pas négligeable dans une économie capitaliste et surtout
que dans ce type d’économie c’est le déséquilibre qui est la règle générale
comme l’avaient bien compris Marx, Schumpeter, Keynes et Minsky, contrairement
à Walras. Signalons au
passage que si l’intérêt du livre est indéniable, celui-ci n’est pas forcément
toujours facile à lire et s’adresse, selon moi, prioritairement à des
universitaires.
Un autre aspect remarquable
de cet ouvrage est qu’il établit clairement que de nombreux économistes
néoclassiques ne sont pas dupes des limites de leur "science" mais
qu’ils préfèrent fermer les yeux sur ses graves défauts. Les raisons à cela
sont nombreuses et échappent parfois au sens commun. L’une d’entre elle est
que, selon Keen, « les économistes
néoclassiques ne comprennent pas l’économie néoclassique », ils font
preuve d’ « une ignorance
profonde des fondations réelles de leur propre théorie », faisant
simplement confiance à ce que racontent les manuels. Et face au choix entre une
théorie irréaliste ou pas de théorie du tout, ils optent pour la théorie en se
reposant sur « l’échappatoire
méthodologique de Milton Friedman, selon qui l’irréalisme des hypothèses n’est
pas important en lui-même. Ce qui compte est que les implications ne soient pas
profondément incohérentes avec le comportement observé » !
Après ce démontage
en règle de la théorie néoclassique, Steve Keen nous expose les prémisses de sa
propre théorie qui, on le comprend, devrait faire l’objet de son prochain
ouvrage. Il soutient que «l’effondrement
de la demande financée par la dette a été la cause tant de la Grande Dépression
que de la Grande Récession ». Il accorde donc une importance capitale
au rôle de la dette privée : « la
clé pour se prémunir des dépressions réside dans la prévention de l’explosion
du ratio dette privé sur PIB ». Il s’appuie sur Minsky pour produire
des modèles prenant en compte l’instabilité financière intrinsèque du système
et intégrant le rôle endogène de la monnaie, modèles cohérents avec son
argument selon lequel « la demande
est la somme du revenu et de la variation de la dette ». Il souligne
au passage la capacité des banques à créer de la monnaie « à partir de
rien » ce qui lui fait dire qu’ « il est peu judicieux de laisser au secteur financier la gestion du
niveau de création des dettes ». A ce sujet, je dois admettre que les
mesures qu’il propose pour contrôler le niveau d’endettement – limitation de la
durée de vie des actions et limitation du levier sur les revenus de propriété –
ne m’ont pas vraiment convaincu.
Pour conclure, comme l’écrit Keen,
« Il n’existe pas de théorie de
remplacement complète et prête à l’emploi ». Notamment pas du côté de
Marx auquel l’auteur consacre un chapitre entier pour démontrer que « la théorie de la valeur travail est
intrinsèquement incohérente, et peut-être même plus défectueuse que la théorie
économique conventionnelle elle-même ».Tout reste donc à
faire à partir des alternatives en cours de développement, en espérant qu’elles
connaitront un meilleur sort que la théorie développée en son temps par Keynes
que les néoclassiques ont prétendu intégrer pour mieux la vider de son sens et éviter ainsi un changement de
paradigme. L’utilisation des mathématiques – les bonnes – et des simulations informatiques
devrait permettre la construction d’une alternative solide.