La thèse défendue par Généreux est annoncée dès le début du livre et peut se résumer simplement : la bêtise est au pouvoir car « nos cerveaux ne sont pas programmés pour l’intelligence rationnelle, mais pour la survie », « l’intelligence n’est pas un réflexe, c’est un effort auquel il faut avoir été éduqué et dont il faut avoir le goût, ou du moins ressentir l’exigence ».  Et le modèle de société que nous avons mis en place ne favorise pas cette exigence, bien au contraire car « l’état de compétition généralisée pour la survie dans un monde de brutes rend idiot. La concurrence débridée débride aussi la connerie ! »

Avant de développer cette thèse en détail dans le dernier chapitre de l’ouvrage, Généreux s’attache à bâtir patiemment le cadre qui permettra d’aboutir à cette conclusion sinon en invalidant, du moins en relativisant les différentes hypothèses qui sont parfois avancées pour expliquer la situation, comme « l’incrimination de l’immoralité des acteurs pour des méfaits qui sont en fait inhérents au système économique » – le fameux « cadre » cher à Lordon auquel Généreux fait référence par ailleurs lorsqu’il fait appel à Spinoza, ce cadre qui chez Généreux a des allures de bocal pour poisson rouge – ou le mythe de l’impuissance des politiques face à la mondialisation. Il démontre ainsi que l’on attribue abusivement des avantages au capitalisme qui sont en réalité imputables à des institutions et des lois qui limitent le pouvoir du capital. Il en profite pour dénoncer la force et la perversité du new management qui « consistent en ce qu’il prend appui sur des valeurs positives (autonomie, qualité, performance) partagées par les salariés, tout en contrariant ou bloquant leur mise en œuvre pratique dans le travail quotidien ». Des propos que ne renierait pas quelqu’un comme Frédéric Lordon, lui qui a brillamment traité du sujet dans « Capitalisme, désir et servitude ». Sur ce vaste sujet de l’aliénation salariale et de la schizophrénie qu’elle entraine, j’ai personnellement bu du petit lait en lisant l’attaque frontale de Généreux contre les entretiens d’évaluation qui, dit-il, ne servent à rien sinon à créer stress et frustration !

Dans un style tout à fait plaisant et facile à lire, Généreux nous donne une leçon d’économie, réhabilitant les Keynésiens – il cite notamment Marc Lavoie – et déplorant que les leçons du passé aient été si vite oubliées. A la manière de Steeve Keen – qu’il cite aussi – mais en beaucoup plus abordable pour le profane, il montre l’absurdité de la théorie économique orthodoxe et il explique comment elle est devenue une religion dont l’objectif n’est bien sûr pas celui d’une science – expliquer le monde – mais de transformer le monde pour le faire coller au modèle ! Tout y passe, de l’absurdité de l’austérité à l’attitude de l’Allemagne, passager clandestin de l’union européenne.          

Pour conclure son propos, Généreux fait appel à la biologie et la psychologie cognitive afin de décrypter le fonctionnement de notre cerveau et tenter d’expliquer pourquoi tant de bêtise humaine. Il met ainsi à jour quatre obstacles au déploiement de « l’intelligence des intelligents » : la réflexion rationnelle n’est pas un comportement inné, notre mode de réflexion inné est adapté à la compétition pour la survie et la réussite sociale, notre réaction instinctive à la manifestation d’une erreur de raisonnement consiste à dénier l’erreur et dire la vérité ne suffit pas pour avoir raison puisque la bataille des idées n’est pas un affrontement entre le vrai et le faux, mais une compétition entre des orateurs pour emporter la conviction et profiter des avantages associés à cette victoire.

Une fois le diagnostique posé, il convient de réfléchir aux moyens de faire en sorte que nos dirigeants ne soient pas en définitive les animaux qui utilisent le mieux leurs capacités innées mais les individus dont l’intelligence leur permettra de prendre les bonnes décisions. Et cela passe, selon Généreux, nécessairement par l’éducation dont l’objectif doit être, plutôt que de transvaser des connaissances, d’apprendre à raisonner et à chercher et traiter des informations. C’est à cette condition que l’on peut espérer que nos sociétés arrivent un jour à « surmonter une impasse autrement que par le désastre ».