Je me suis rendu compte qu’il y avait une façon particulière de lire Lordon. Tout est dans le rythme ! Il ne faut pas trop ralentir sur les mots compliqués au risque de tomber et de perdre le fil mais il faut poursuivre allégrement jusqu’au bout de la phrase dont le sens général finit par apparaître, malgré les embûches.
Il est totalement illusoire de prétendre dégager en quelques mots, l’essence de la théorie développée par Lordon. Il n’en reste pas moins que, une fois le livre refermé, comme pour tout livre qui vous a captivé, il vous reste une idée, une vague image mentale de ce qu’il contenait et à laquelle vous vous référez en attendant, éventuellement, de le relire. Et bien moi, ce que j’ai retenu, bien aidé je dois l’admettre par la remarquable émission d’@si présentée par Judith Bernard, exceptionnelle dans sa capacité à traduire la pensée "Lordonienne" pour le profane, c’est que nous sommes tous habité par le conatus, une sorte d’énergie vitale, une force désirante générique qui nous fait nous mouvoir et dont la direction est donnée par des affects, tristes ou joyeux. Ce sont eux qui déterminent pourquoi nous recherchons ceci plutôt que cela. L’image proposée par Lordon pour illustrer ce conatus qui nous fait nous mouvoir, ce sont les "mioches" qui courent et qui hurlent. Sans savoir pourquoi, sans but évident, sans direction définie. C’est le conatus à l’état pur. Et toute la question du livre, c’est comment fait le capitalisme pour maîtriser ce conatus au travers des affects afin de lui faire faire ce qu’il veut. On distingue en gros trois régimes successifs dans l’histoire du capitalisme. L’homme a travaillé parce qu’il avait faim, c’était un affect triste. Et puis vint le Fordisme qui, grâce à la possibilité de travailler pour consommer, a utilisé l’affect joyeux créé par l’acte d’achat. Et nous sommes maintenant dans un régime d’enchantement joyeux, où les affects intrinsèques joyeux sont mobilisés par le néolibéralisme qui prétend que nous allons nous réaliser au travail.
Si je devais trouver un point de désaccord avec ce que nous explique Lordon, je mentionnerai son affirmation selon laquelle il serait plus efficace de régner à l’amour qu’à la crainte. Cela reste selon moi, à démontrer. J’ai connu ce que l’on peut appeler le management par la terreur. Au-delà des dégâts collatéraux qu’il pouvait engendrer, il se révélait redoutablement efficace.

Je suis loin d’avoir fait le tour de cet ouvrage. Comme le dit Winston Smith dans "1984" de G.Orwell : "les meilleurs livres sont ceux qui racontent ce que l’on sait déjà".  Pour ma part, j’ai vraiment eu l’impression de voir ressurgir à la surface, des choses oubliées qui auraient été enfouies dans les profondeurs de ma conscience et qui réapparaissent avec la force de l’évidence, malgré quelques difficultés de compréhension localisées, comme si je les avais toujours sues.