Quand la recherche effrénée du « Saint Graal » de la finance – la liquidité – mène au désastre
Par RST le jeudi, 14 janvier 2010, 22:37 - Notes de lecture - Lien permanent
Dans "De l’euphorie à la panique : penser la crise financière" André Orléan propose une analyse en profondeur de la crise financière qui, nous dit-il, "ne vient pas de ce que les règles du jeu financier ont été contournées mais du fait qu’elles ont été suivies", ce qui n’est pas, loin s’en faut, une opinion nécessairement répandue ! Il commence par analyser la crise des subprimes aux États-Unis en constatant que, contrairement à ce que prétend la théorie dominante, l’autorégulation concurrentielle n’a pas fonctionné sur le marché de l’immobilier. Il propose deux exemples flagrants d’inefficacité des marchés : la hausse continue des prix de l’immobilier qui n’a pas joué le rôle régulateur qu’on lui prête et le marché du crédit qui a sous-estimé les risques. En fait, "contrairement à la concurrence sur les marchés de biens ordinaires, la concurrence financière pousse aux évolutions de prix excessives", aussi bien à la hausse qu’à la baisse.
Ce qui peut nous apparaitre
aujourd’hui comme une évidence, à savoir l’apparition d’une bulle immobilière
qui allait être soumise tôt ou tard à un retournement brutal n’était à l’époque,
absolument pas perçue comme telle par les autorités dites compétentes. Cette
situation qui peut paraître incroyablement paradoxale, "ne fait qu’illustrer les limites du savoir
économique" qui, pour résumer, est incapable de servir à prédire quoi
que ce soit ! Le marché financier n’a donc comme seule possibilité que de
se focaliser " sur la croyance
qui sert le mieux sa prospérité ", emporté par une euphorie qui
le rend "aveugle au désastre".
A.Orléan souligne à ce propos que les mêmes mécanismes qui produisent des
hausses excessives des prix sont à l’origine des baisses cumulatives qui sont
ensuite observées. C’est là une conséquence de ce qu’il appelle «
l’autoréférentialité » des marchés financiers, à savoir que les investisseurs agissent,
non pas en fonction des « vraies valeurs », mais en fonction des anticipations
qu’ils forment sur l’évolution future de l’opinion du marché. C’est aussi la
thèse défendue par Pierre-Noël Giraud. L’auteur nous dévoile alors la règle numéro un
de la finance de marché : "pour
gagner de l’argent sur un marché, l’important n’est pas de détenir la vérité,
c’est-à-dire de connaître quelles sont les vraies valeurs des actifs, mais bien
de prévoir le mouvement du marché lui-même".
Après avoir analysé la crise des
subprimes et en avoir tiré des enseignements sur le fonctionnement de la
finance, A.Orléan nous explique le rôle de la titrisation et de quelle manière
elle a affecté la situation, " non
pas dans sa nature – une bulle suivie d’un krach et d’une crise bancaire –,
mais dans l’amplitude de ses effets." La titrisation s’inscrit
parfaitement dans "la visée ultime
poursuivie avec constance depuis trente ans par tous les décideurs, de gauche
comme de droite : la création d’une liquidité financière mondialisée".
Mais il faut impérativement revenir sur cette primauté accordée à la liquidité
en se rappelant par exemple ce qu’a écrit J.M. Keynes : "De toutes les maximes de la finance
orthodoxe, il n’en est aucune, à coup sûr, de plus antisociale que le fétichisme
de la liquidité". Car cette recherche effrénée de la liquidité, ce
« Saint Graal » du capitalisme a entrainé un cataclysme dont les
conséquences les plus graves n’ont pu être évitées que grâce à l’intervention
musclée des autorités publiques. En effet, la titrisation, en dispersant le
risque de crédit n’a pas rendu "le système bancaire de même que le
système financier dans son ensemble plus résilient" comme a pu le
croire le FMI mais a, bien au contraire, permis la diffusion massive de la
crise. C’est ainsi qu’un choc initial d’ampleur limitée a pu conduire à une
dévastation planétaire. A noter que selon
Michel Aglietta, ce n’est pas tant la titrisation en tant que telle qui
doit être remise en cause car elle est, selon lui incontournable, mais bien la
mauvaise utilisation qui en a été faite.
A.Orléan nous montre aussi qu’
"À la source de toutes les crises,
on constate une rupture de la convention d’évaluation, conduisant à rendre
l’estimation de nombreux actifs sujette à caution". Cela a conduit, au
travers d’un enchainement de mécanismes qu’il décrit précisément, à une
situation paradoxale et tragique : l’assèchement – événement dévastateur
si il en est – de cette liquidité tant recherchée, assèchement qui crée un effet
boule de neige, notamment en corrélant
des actifs n’ayant à priori aucune raison d’être corrélés au seul
regard des fondamentaux.
Enfin, l’auteur nous explique le rôle pervers du système bancaire
parallèle (le système bancaire de l’ombre de P.Krugman)
qui a contourné la régulation en utilisant les "banques non régulées que sont les véhicules hors-bilan",
comment le recours au mark-to-market imposé par le hors-bilan a accentué les
forces déstabilisantes, à la hausse comme à la baisse et enfin comment les
mouvements financiers impactent fortement l’économie réelle qui, en retour,
agit sur le système financier.
A. Orléan conclut un peu abruptement sans proposer de solution mais en insistant sur "le rôle pervers de la concurrence financière, son incapacité à produire les contre-forces qui feraient en sorte que les déséquilibres soient combattus à temps." Comme il l’explique au début de l’ouvrage le débat autour des différentes analyses possibles de cette crise s’articule entre faut-il plus de régulation pour maintenir et renforcer la primauté accordée à la finance ou bien faut-il réguler afin "de fixer des bornes strictes à l’extension des marchés financiers, d’en restreindre l’application à des espaces économiques bien spécifiés" et donc de "revenir sur la liberté totale de circulation laissée au capital", faire ce qu’il appelle du « cloisonnement » ? On supposera sans trop craindre de se tromper, que c’est la deuxième thèse qui a ses faveurs.
Et pour ceux qui souhaitent savoir quelles solutions pratiques peuvent être apportées, ils se reporteront avec profit sur les ouvrages de F.Lordon comme celui-ci ou encore celui-là.