Ce qui peut nous apparaitre aujourd’hui comme une évidence, à savoir l’apparition d’une bulle immobilière qui allait être soumise tôt ou tard à un retournement brutal n’était à l’époque, absolument pas perçue comme telle par les autorités dites compétentes. Cette situation qui peut paraître incroyablement paradoxale, "ne fait qu’illustrer les limites du savoir économique" qui, pour résumer, est incapable de servir à prédire quoi que ce soit ! Le marché financier n’a donc comme seule possibilité que de se focaliser " sur la croyance qui sert le mieux sa prospérité ", emporté par une euphorie qui le rend "aveugle au désastre". A.Orléan souligne à ce propos que les mêmes mécanismes qui produisent des hausses excessives des prix sont à l’origine des baisses cumulatives qui sont ensuite observées. C’est là une conséquence de ce qu’il appelle « l’autoréférentialité » des marchés financiers, à savoir que les investisseurs agissent, non pas en fonction des « vraies valeurs », mais en fonction des anticipations qu’ils forment sur l’évolution future de l’opinion du marché. C’est aussi la thèse défendue par Pierre-Noël Giraud.  L’auteur nous dévoile alors la règle numéro un de la finance de marché : "pour gagner de l’argent sur un marché, l’important n’est pas de détenir la vérité, c’est-à-dire de connaître quelles sont les vraies valeurs des actifs, mais bien de prévoir le mouvement du marché lui-même".

Après avoir analysé la crise des subprimes et en avoir tiré des enseignements sur le fonctionnement de la finance, A.Orléan nous explique le rôle de la titrisation et de quelle manière elle a affecté la situation, " non pas dans sa nature – une bulle suivie d’un krach et d’une crise bancaire –, mais dans l’amplitude de ses effets." La titrisation s’inscrit parfaitement dans "la visée ultime poursuivie avec constance depuis trente ans par tous les décideurs, de gauche comme de droite : la création d’une liquidité financière mondialisée". Mais il faut impérativement revenir sur cette primauté accordée à la liquidité en se rappelant par exemple ce qu’a écrit J.M. Keynes : "De toutes les maximes de la finance orthodoxe, il n’en est aucune, à coup sûr, de plus antisociale que le fétichisme de la liquidité". Car cette recherche effrénée de la liquidité, ce « Saint Graal » du capitalisme a entrainé un cataclysme dont les conséquences les plus graves n’ont pu être évitées que grâce à l’intervention musclée des autorités publiques. En effet, la titrisation, en dispersant le risque de crédit n’a pas rendu  "le système bancaire de même que le système financier dans son ensemble plus résilient" comme a pu le croire le FMI mais a, bien au contraire, permis la diffusion massive de la crise. C’est ainsi qu’un choc initial d’ampleur limitée a pu conduire à une dévastation planétaire. A noter que selon Michel Aglietta, ce n’est pas tant la titrisation en tant que telle qui doit être remise en cause car elle est, selon lui incontournable, mais bien la mauvaise utilisation qui en a été faite.

A.Orléan nous montre aussi qu’ "À la source de toutes les crises, on constate une rupture de la convention d’évaluation, conduisant à rendre l’estimation de nombreux actifs sujette à caution". Cela a conduit, au travers d’un enchainement de mécanismes qu’il décrit précisément, à une situation paradoxale et tragique : l’assèchement – événement dévastateur si il en est – de cette liquidité tant recherchée, assèchement qui crée un effet boule de neige, notamment en corrélant  des actifs n’ayant à priori aucune raison d’être corrélés au seul regard des fondamentaux.
Enfin, l’auteur nous  explique le rôle pervers du système bancaire parallèle (le système bancaire de l’ombre de P.Krugman) qui a contourné la régulation en utilisant les "banques non régulées que sont les véhicules hors-bilan", comment le recours au mark-to-market imposé par le hors-bilan a accentué les forces déstabilisantes, à la hausse comme à la baisse et enfin comment les mouvements financiers impactent fortement l’économie réelle qui, en retour, agit sur le système financier.

A. Orléan conclut un peu abruptement sans proposer de solution mais en insistant sur "le rôle pervers de la concurrence financière, son incapacité à produire les contre-forces qui feraient en sorte que les déséquilibres soient combattus à temps." Comme il l’explique au début de l’ouvrage le débat autour des différentes analyses possibles de cette crise s’articule entre faut-il plus de régulation pour maintenir et renforcer la primauté accordée à la finance ou bien faut-il réguler afin "de fixer des bornes strictes à l’extension des marchés financiers, d’en restreindre l’application à des espaces économiques bien spécifiés" et donc de "revenir sur la liberté totale de circulation laissée au capital", faire ce qu’il appelle du « cloisonnement » ? On supposera sans trop craindre de se tromper, que c’est la deuxième thèse qui a ses faveurs.

Et pour ceux qui souhaitent savoir quelles solutions pratiques peuvent être apportées, ils se reporteront avec profit sur les ouvrages de F.Lordon comme celui-ci ou encore celui-là.