A la fin des années 1990, constatant la tournure qu'avait prise la libéralisation financière, Allais se scandalisait de ce que l'on permette aux banques de «jouer à la Bourse avec leurs fonds propres et, encore pire, avec de la monnaie qu'elles créent pour cela». Il préconisait une séparation absolue entre la sphère de la monnaie et du crédit et la sphère de la finance de marché, ainsi qu'une création monétaire strictement réservée à la banque centrale. Formulées en pleine période d'euphorie, alors que le système venait de surmonter avec brio la faillite de LTCM, ces propositions n'ont naturellement pas été entendues. On les a balayées d'un revers de la main, affirmant que de telles mesures bloqueraient totalement tout le système financier et le rendraient gravement inefficace. Analysons cependant plus en détail les propositions d'Allais, car elles ont le mérite de bien poser les questions de fond.

Pour Allais, dans le système actuel, des crises financières de plus en plus violentes sont inévitables. Une spéculation débridée sur les marchés financiers, à laquelle les banques elles-mêmes participent massivement, est en effet à ses yeux indissociable des modalités actuelles de création monétaire. Ce sont ces modalités qu'il suggère de réformer de manière radicale. II propose de découper les actuelles banques «universelles » qui, à la fois, créent de la monnaie et interviennent directement et indirectement sur les marchés financiers, en trois types d'institutions différentes aux rôles bien déterminés et contrôles. La première, ce sont de simples banques de dépôts, qui gèrent les comptes courants de leurs clients. II leur est interdit de faire crédit: aucun découvert sur les dépôts n'est donc  autorisé. Leur fonction est uniquement celle de règlement, fonction qu'elles facturent aux déposants: l'émission de chèques, les virements, les paiements par carte bancaire sont donc facturés à leur coût réel. La deuxième, ce sont des banques de prêts. Elles sont contraintes à ne prêter que de la monnaie qu'elles ont préalablement empruntée, en particulier à la banque centrale, comme on va le voir. De plus, ces banques sont soumises à l'exigence de prêter plus «court» qu'elles n'empruntent et de se soustraire ainsi au risque de liquidité. Les banques de prêts n'ont donc aucun pouvoir de création monétaire. La troisième, ce sont des banques d'affaires, qui empruntent au public et aux banques de prêts pour acheter des titres. Ces dernières sont donc l'équivalent des actuels investisseurs institutionnels. Dans le schéma d’Allais, la création monétaire est exclusivement réservée à la banque centrale qui crée de la monnaie en prêtant aux banques de prêts. C'est d'elle et d'elle seule que dépend le rythme d'expansion des crédits aux acteurs économiques, donc de la masse monétaire en circulation. Ce rythme est décidé par le gouvernement.

Le gouvernement fixe donc à la banque centrale des objectifs quantitatifs d'expansion de la masse monétaire. Il calcule ces objectifs de manière à ce que la masse monétaire augmente à un rythme légèrement supérieur (de 2 %) à la croissance attendue de 1'activité économique, ce qui fait que1'inflation tolérée est de 2 %.

Selon Allais, ce système résoudrait les problèmes suivants. Le système de règlement ne serait plus affecté par les crises financières, puisque les banques de dépôts, qui assurent les règlements, ne font pas de crédit et n'investissent pas sur les marchés financiers. Ni les banques de dépôts ni les banques de prêts ne pourraient connaître de crises de liquidité, puisque leur actif est au moins aussi liquide que leur passif. Les banques de prêts, si elles sont mal gérées et évaluent mal leurs risques de crédit, peuvent évidemment faire faillite. Mais elles seront reprises par des banques saines, et cela ne se traduira que par des transferts entre actionnaires et créanciers des banques, sans affecter la monnaie gérée par les banques de dépôts. Certes, rien dans ce schéma n'empêche un acteur d'emprunter à une banque de prêts pour spéculer sur les marches financiers. Mais Allais souligne tout d'abord que les banques elles-mêmes devront emprunter pour spéculer, au lieu de pouvoir le faire avec de la monnaie qu'elles créent ex nihilo et sans coût dans le système actuel.  Ensuite, si, toutes choses égales par ailleurs, des acteurs (banques comprises) veulent emprunter pour spéculer, cela fera augmenter les taux d'intérêt. Plus la spéculation se développera, plus les ressources pour spéculer couteront cher. Allais voit là un puissant mécanisme de régulation de la spéculation, alors que, dans le système actuel, le crédit bancaire peut 1'alimenter sans frein. Dans son système, on ne pourrait prendre des risques sur les marchés financiers qu'avec une épargne préalablement constituée, soit la sienne propre, soit de l'épargne empruntée à d'autres. Allais y voit la garantie d'une bien plus grande stabilité de ces marchés et donc de l'économie dans son ensemble. Cela rendrait de plus impossibles des enrichissements colossaux et rapides (d'individus ou d'institutions) grâce à des spéculations heureuses entreprises avec de l'argent crée expressément pour cela, ce qu'Allais juge moralement condamnable.

Tel est le cœur des réformes proposées par Allais. Elles prévoient d’autres mesures, mais l'essentiel est la séparation et le cloisonnement des activités bancaires ainsi que le fait de réserver à1'Etat la création monétaire. L'intérêt de ces propositions est qu'elles désignent très clairement la racine de 1'instabilité du système monétaire et financier contemporain : la possibilité pour la finance de créer des droits en excès grâce à une création monétaire par le crédit bancaire qui échappe largement au contrô1e de l'Etat.

Pierre-Noël Giraud propose ensuite une critique argumentée des propositions d’Allais en nous entrainant dans une controverse qui, comme il le dit lui-même est vieille comme l’économie politique,  entre les partisans de la Banking School et ceux de la Currency School, mais c'est une autre histoire ...