Marc Roche, le déçu du capitalisme qui n’arrive pas à se défaire de sa fascination pour la finance
Par RST le mercredi, 11 novembre 2015, 14:06 - Notes de lecture - Lien permanent
J’avais
lu lors de sa sortie en 2010 – Dieu que le temps passe vite – l’ouvrage que Marc
Roche a consacré à Goldman Sachs intitulé « La Banque ». J’avais
exprimé à l’époque mon scepticisme quant à l’intérêt de ce livre, ne voyant pas
très bien où le journaliste financier voulait en venir et à partir de quels
arguments. J’ai lu récemment « Les banksters » du même auteur et je
peux maintenant me faire une idée plus précise sur la démarche de celui qui se
revendique comme un déçu du capitalisme.
Marc Roche le dit lui-même : c’est un libéral qui a toujours admiré le
monde de la finance qu’il a couvert pendant 25 ans… sans vraiment le
comprendre, visiblement. Ne fait-il pas cet aveu stupéfiant qu’il n’avait
jamais entendu parler des chambres de compensation avant 2009 ? Il va même
jusqu’à affirmer que « personne ne s’était
trop soucié de l’activité de cette mécanique d’exécution des paiements sur les
marchés financiers et entre les banques ». Personne ? Denis
Robert a commencé son combat 8 ans auparavant en 2001 avec la sortie de
son livre « Révélation$ » et son film-documentaire « L’Affaire Clearstream racontée à un ouvrier
de chez Daewoo » est lui sorti en 2003 !!!
Et que dire du chapitre entier consacré par Roche à s’offusquer que le
Financial Time, son journal préféré, ait osé remettre en cause l’euro ?
Sur un ton qu’il se défend d’emprunter à Zola (sic) il accuse le journal de « crime d’acharnement contre l’euro ».
A aucun moment, le journaliste ne fait mine de s’interroger sur le bien-fondé
de la monnaie unique. Il ne conçoit visiblement pas que l’on puisse raisonnablement
le faire !
Une fois de plus, le propos du dernier livre de Marc Roche ne dépasse pas vraiment le niveau de l’anecdote – certes souvent intéressante – tirée de ses rencontres avec des personnages plus ou moins puissants du monde de la finance et des institutions bancaires mais sans que l’on voit très bien où il veut en venir. Si le journaliste a le grand mérite de remettre en cause ses croyances, suite à la crise de 2008 qu’il reconnait ne pas avoir anticipé, il n’a visiblement pas encore réussi à s’arracher à sa fascination – mais est-ce humainement possible – et il oscille donc constamment entre critique et justification de la finance. Malgré les nombreuses preuves de graves dysfonctionnement et de malversations qu’il apporte, il ne peut se résoudre à condamner l’objet de sa passion. Il en arrive à ce paradoxe surprenant de partager à la page 192, l’opinion de John Vickers – chargé de la réforme bancaire en Angleterre – selon laquelle le système financier est de nos jours plus solide qu’avant 2008 tout en affirmant page 218 que l’économie mondiale reste assise sur une multitude de bombes à retardement qui vont de la bulle obligataire aux USA à la « déconfiture informatique colossale », en passant par les prêts étudiants aux USA, le shadow banking en Chine ou les produits dérivés, encore eux. Vous avez dit solide ?
On retrouve donc ce phénomène fascinant qu’il est excessivement compliqué pour un être humain normalement constitué de faire preuve de lucidité pour remettre en cause ses croyances et plus encore de tirer les conséquences d’une telle remise en cause lorsqu’elle a lieu. Cela explique donc peut-être en partie pourquoi les 10 principes proposés sous forme de Tables de la Loi en conclusion de l’ouvrage, pour éviter un prochain krach ne présentent que peu d’intérêt. Outre le fait qu’ils sont redondants (quelle différence entre la dénonciation du gigantisme des banques du premier principe et la remise en cause de leur taille du septième ?), ils ne constituent en aucune manière des mesures pratique à mettre en œuvre. L’auteur le reconnait qui les qualifie de « commandements pour une nouvelle morale financière ». Mais ce n’est pas avec de la morale que l’on domestiquera la finance. Il faut s’attaquer à ses structures et ce n’est pas gagné.