Mais tout d’abord, qu’est-ce qu’une chambre de compensation ? En gros, c’est une sorte de super banque, une banque des banques, qui gère les flux financiers mondiaux. Elle permet aux professionnels du secteur financier, non seulement de s’échanger des valeurs mais aussi de garantir des prêts et des emprunts. Son rôle principal consiste à recueillir l’argent de ses clients et à organiser l’achat puis la conservation des titres. Ce travail de stockage des titres est fondamental et rend la firme Luxembourgeoise indispensable au bon fonctionnement de la finance internationale. Les titres restent dans les coffres de Clearstream ; seuls les propriétaires changent. En principe, ces propriétaires, ce sont des banquiers. Clearstream a été créée par eux et pour eux dans les années 70. A son conseil d’administration siégeaient en 2001 les plus grandes banques de la planète. Son patron, en juillet 2000,  revendiquait détenir dans ses coffres des valeurs pour prés de 9 000 milliards d’euros. Clearstream est donc une sorte de caisse enregistreuse, une pompe à finances. C’est, en vérité, un outil indispensable dans le grand mécano de la mondialisation financière. Si il est devenu aujourd’hui de bon ton (et à juste titre) de mettre en cause le rôle des paradis fiscaux (dont le Luxembourg, que François d’Aubert, député UMP, décrivait en janvier 2002 comme "un pays membre de l’union européenne qui a les dispositifs qui permettent de pratiquer à grande échelle le blanchiment d’argent sale") dans le désastre financier que nous connaissons, nous entendons très peu de voix s’élever pour dénoncer les outils utilisés par la finance. Et pourtant, ce que nous révèle D. Robert  est proprement stupéfiant.

Dans l’esprit du grand public, le nom de Clearstream est associé à de sombres histoires mettant en jeu de vrais-faux listing où des noms connus apparaissent, liés à des comptes et des transferts d’argent sujets à interrogation. Mais dans les faits, cela est relativement secondaire par rapport à ce que dénonce D.Robert  et qui lui vaut de nombreux procès suivis de grosses amendes. Dans son film-documentaire "L’Affaire Clearstream racontée à un ouvrier de chez Daewoo"  sorti en 2003, il revient sur ce qu’il a déjà dénoncé par le passé dans différents films et livres, à savoir que Clearstream, cette multinationale de la finance, a inventé un système de comptes non publiés, donc invisibles, pour véhiculer de l’argent d’un coin à l’autre de la planète. C’est en réalité une gare de triage secrète de la finance internationale, bâtie sur un système de dissimulation. En plongeant dans les listings de la société, D. Robert soulève des questions embarrassantes sur le rôle des multinationales comme Daewoo qui ont des comptes chez Clearstream (et qui, après avoir touché des subventions, ferme ses usines de Loraine), mais aussi sur des banques dont les noms apparaissent dans des affaires liées au terrorisme international. Il s’interroge aussi sur l’identité de ceux qui sont derrière les transactions anonymes pour lesquelles Clearstream sert de prête-nom, et découvre que les organes de contrôle eux-mêmes, ont des comptes dans les chambres de compensation !

D.Robert pose donc la légitime question du fonctionnement de la finance et des sociétés comme Clearstream, qui ne sont soumis à pratiquement aucun contrôle, et qui agissent dans l’opacité la plus totale. Comme le dit MichelVolle, « Il nous a éclairés sur les procédés qu’utilisent les prédateurs pour faire fructifier leur richesse. Le double mécanisme de blanchiment de l’argent sale, de noircissement de l’argent propre, est le système respiratoire de la prédation : sans lui, elle étoufferait ». Le même Michel Volle insiste sur le rôle de l’informatique dans l’affaire : « L’informatique y joue un rôle essentiel. L’économie informatisée, qui s’est mise en place à partir de 1975, diffère profondément de l’économie industrielle qui l’a précédée. Elle est fondamentalement violente (…), mais cette violence est opportunément masquée par des formes juridiques correctes, conçues par des avocats d’affaire très bien payés qui font se pâmer d'aise les magistrats ». Ce rôle de l’informatique est un argument rarement mis en avant dans la critique du fonctionnement de la finance mais il est pourtant fondamental. L’informatique permet, par exemple, d’effectuer des transactions portant sur des échanges de titres en quelques secondes alors que cela prendrait plusieurs mois s’ils devaient être réalisés physiquement. De plus, c’est bien la difficulté à tracer les échanges électroniques (qui peuvent être aisément effacés), et donc à trouver des preuves, qui rend toute tentative de mise en évidence de pratiques potentiellement illégales, extrêmement difficile.

Quant à la violence légale dénoncée ici, elle amène à réfléchir sur les réponses possibles à y apporter, et sur le concept de légitime défense dont pourraient se prévaloir ceux qui, refusant plus longtemps le joug imposé par la finance, décideraient d’utiliser des moyens radicaux pour y mettre fin. Mais ceci est une autre histoire, camarade …  

Se pose néanmoins la question de savoir si, en France, pays démocratique, il est encore possible d’aborder ce genre de sujet sans être immédiatement soumis à des pressions de tout sorte difficilement supportable à terme et qui ont forcé Denis Robert à jeter l’éponge.

La crise que nous connaissons actuellement devrait être l’occasion de remettre radicalement en cause, non seulement les paradis fiscaux, mais aussi les outils qu’ils utilisent pour fonctionner. Car les solutions existent. Une société comme Clearstream pourrait être un outil efficace de contrôle de l’activité financière au lieu d’être "la meilleure lessiveuse du monde". Comme le dit l’un des intervenants du film, il suffirait d’y mettre quelques "gendarmes" indépendants. On peut toujours rêver…camarade !