Les monnaies libres, ça peut chémar
Par RST le mardi, 16 juin 2009, 21:54 - Monnaie - Lien permanent
La conférence sur les monnaies
libres organisée le 11 juin dernier à l’Entrepôt
démarre sous de mauvais auspices, avec une entrée annoncée libre elle aussi, mais
coûtant quand même, à ma grande surprise, 10 euros, ce qui n’était pas précisé
sur les documents annonçant l’événement. Je me dis qu’il devient urgent de
définir ce qu’on entend par "libre" ! J’ai d’ailleurs le temps
de réfléchir à la question puisque l’orateur, Jean-François Noubel introduit
son exposé par une période de … méditation collective. J’avoue qu’à cet instant
précis, l’envie de m’enfuir me traverse
l’esprit mais les 10 euros dépensés, le simple fait de m’être déplacé jusque là
et la curiosité, me poussent à rester pour voir la suite. Et je n’ai pas eu à le regretter, vraiment pas …
Avant d’aller plus loin, il est nécessaire de faire un petit préambule. J’ai énormément apprécié que J.F. Noubel, à aucun moment, ne cherche à convaincre mais à expliquer, avouant qu’il se pose des millions de questions sur le nouveau paradigme qu’il présente. Et à tous ceux qui seraient tentés d’égrener la liste des raisons pour lesquelles ce système, selon eux, n’a aucune chance de fonctionner, il rétorque: ne venez pas en challengeant (et je rajoute avec mon mauvais esprit caractéristique : c’est à la portée du premier péquin venu), venez en proposant (ça c’est plus difficile).Ceci étant posé, nous pouvons passer aux choses sérieuses. On commence donc par un rapide rappel de la situation actuelle où l’on constate un phénomène de pénurie de monnaie, de sa concentration entre les mains de quelques uns, selon la loi bien connue dite de Pareto qui veut que 80 % de la monnaie soit détenue par 20 % de la population. Le paradigme de la rareté s’est installé culturellement puisque l’outil d’accès à la richesse étant rare, il donne la fausse impression que cette même richesse est rare. Certes, les ressources ne sont pas infinies, mais l’image de rareté que projette la monnaie ne correspond pas à la situation réelle.
On rentre ensuite dans le vif du
sujet avec la présentation du fonctionnement de cette nouvelle monnaie, à
partir d’un exemple pratique représenté par l’image
ci-dessous qui donne le profil d’un utilisateur de monnaie libre :
Et l’on découvre comment, pour
une personne donnée, plusieurs niveaux de richesse peuvent être définis. Avec
pour commencer la richesse sociale ("Acknowledgeable") qui évalue la
performance de l’individu et sa réputation, un peu comme sur le site de vente
bien connu EBay. Il y a ensuite la richesse mesurable ("Measurable")
qui est basée sur l’expertise que l’on peut quantifier, par exemple en tenant
compte du nombre de projets rendus à temps. Enfin, il y a les richesses
échangeables ("Tradable") qui englobent les monnaies traditionnelles,
une monnaie spécifique le WE’s et un système de crédit mutuel.
Le crédit mutuel fonctionne sans
monnaie, sur la base du crédit que s’octroient les individus les uns aux autres
pour réaliser leurs échanges dans les limites définies pour chacun à partir du capital social
déterminé par la richesse "Acknowledgeable". Plus la personne est
considérée comme digne de confiance, plus la ligne de crédit est élevée.
Les WE’s sont une monnaie libre
créée et utilisée, si j’ai bien compris, par les membres de TheTransitioner, l’organisme de
R&D créé par Noubel. On peut ainsi imaginer toutes sortes de monnaies pour
toutes sortes de groupes humains, des plus petits aux plus grands. Et cette
monnaie, ces WE’s, sont utilisés pour échanger sur une place de marchés, le
"Flowplace" qui met en rapport les offres et les demandes selon
l’exemple du tableau ci-dessous :
Sur le même principe que le
profil d’un individu décrit plus haut, chaque "objet" échangeable
possède ces propres caractéristiques en terme de valeur dans les différentes
monnaies comme on peut le voir dans le dessin ci-dessous, avec l’exemple d’une
conférence à Bombay comme "produit" mis en vente :
Toutes les monnaies décrites précédemment fonctionnent ensemble de manière systémique. Selon moi, et au risque de me tromper, il y a un aspect important à prendre en compte au sujet des monnaies libres telles que présentées par Noubel et qui n’est pas formulé explicitement : elles n’ont pas comme premier objectif de remplacer les monnaies traditionnelles. Elles viennent en complément, pour remédier aux graves dysfonctionnements du système actuel. C’est l’Histoire qui dira si elles les supplanteront définitivement.
Mais un obstacle important peut
se dresser devant ce qui peut apparaître comme une utopie et cet obstacle c’est
la réaction du système en place. A la question comment éviter que les autorités
gouvernementales ne fassent appel à la loi pour mettre un terme à une
expérience qui remet en cause le fonctionnement actuel de la société, sinon de
l’Etat, la réponse est immédiate (ou presque, Noubel s’accordant
systématiquement quelques secondes de silence avant de s’exprimer) : rien ne
résiste à Internet.
En effet, l’ensemble du projet est basé sur son utilisation (et celle des téléphones portables) qui
permet de créer des réseaux de communications instantanés sans pratiquement
aucune limite. Le Meta
Currency Project, nom donné au développement en cours de ces monnaies
libres et des protocoles nécessaires, est basé sur l’ouverture, sur la
transparence totale des règles, des données et des moyens de transport utilisés.
Il n’y pas besoin de Clearstream
avec les monnaies libres et il ne peut pas y avoir de Madoff ! Comme avec
les logiciels libres, la notion de
"forking" s’applique. A tout moment, un autre chemin utilisant
d’autres règles peut-être proposé qui sera validé (ou non) sur le principe du "qui m’aime me suive".
Le projet est enthousiasmant mais j’y apporterai un petit bémol : je ne suis pas très réceptif à l’aspect développement personnel qui l’accompagne et je me méfie du caractère un peu sectaire que pourrait prendre ce genre de communauté. Néanmoins, il me semble qu’il y a là des pistes prometteuses pour l’avenir et j’attends avec impatience l’ouverture effective du "Flowplace" prévu pour la fin de l’année qui devrait permettre à la machine de se mettre en branle. On verra alors si le futur a vraiment commencé.