Avant d’aller plus loin, il est nécessaire de faire un petit préambule. J’ai énormément apprécié que J.F. Noubel, à aucun moment, ne cherche à convaincre mais à expliquer, avouant qu’il se pose des millions de questions sur le nouveau paradigme qu’il présente. Et à tous ceux qui seraient tentés d’égrener la liste des raisons pour lesquelles ce système, selon eux, n’a aucune chance de fonctionner, il rétorque: ne venez pas en challengeant (et je rajoute avec mon mauvais esprit caractéristique : c’est à la portée du premier péquin venu), venez en proposant (ça c’est plus difficile).Ceci étant posé, nous pouvons passer aux choses sérieuses. On commence donc par  un rapide rappel de la situation actuelle où l’on constate un phénomène de pénurie de monnaie, de sa concentration entre les mains de quelques uns, selon la loi bien connue dite de Pareto qui veut que 80 % de la monnaie soit détenue par 20 % de la population. Le paradigme de la rareté s’est installé culturellement puisque l’outil d’accès à la richesse étant rare, il donne la fausse impression que cette même richesse est rare. Certes, les ressources ne sont pas infinies, mais l’image de rareté que projette la monnaie ne correspond pas à la situation réelle.

On rentre ensuite dans le vif du sujet avec la présentation du fonctionnement de cette nouvelle monnaie, à partir d’un exemple pratique représenté par l’image ci-dessous qui donne le profil d’un utilisateur de monnaie libre :

Et l’on découvre comment, pour une personne donnée, plusieurs niveaux de richesse peuvent être définis. Avec pour commencer la richesse sociale ("Acknowledgeable") qui évalue la performance de l’individu et sa réputation, un peu comme sur le site de vente bien connu EBay. Il y a ensuite la richesse mesurable ("Measurable") qui est basée sur l’expertise que l’on peut quantifier, par exemple en tenant compte du nombre de projets rendus à temps. Enfin, il y a les richesses échangeables ("Tradable") qui englobent les monnaies traditionnelles, une monnaie spécifique le WE’s et un système de crédit mutuel.
Le crédit mutuel fonctionne sans monnaie, sur la base du crédit que s’octroient les individus les uns aux autres pour réaliser leurs échanges dans les limites définies  pour chacun à partir du capital social déterminé par la richesse "Acknowledgeable". Plus la personne est considérée comme digne de confiance, plus la ligne de crédit est élevée.

Les WE’s sont une monnaie libre créée et utilisée, si j’ai bien compris, par les membres de TheTransitioner, l’organisme de R&D créé par Noubel. On peut ainsi imaginer toutes sortes de monnaies pour toutes sortes de groupes humains, des plus petits aux plus grands. Et cette monnaie, ces WE’s, sont utilisés pour échanger sur une place de marchés, le "Flowplace" qui met en rapport les offres et les demandes selon l’exemple du tableau ci-dessous :

Sur le même principe que le profil d’un individu décrit plus haut, chaque "objet" échangeable possède ces propres caractéristiques en terme de valeur dans les différentes monnaies comme on peut le voir dans le dessin ci-dessous, avec l’exemple d’une conférence à Bombay comme "produit" mis en vente :

Toutes les monnaies décrites précédemment  fonctionnent ensemble de manière systémique. Selon moi, et au risque de me tromper, il y a un aspect  important à prendre en compte au sujet des monnaies libres telles que présentées  par Noubel et qui n’est pas formulé explicitement : elles n’ont pas comme premier objectif de remplacer les monnaies traditionnelles. Elles viennent en complément, pour remédier aux graves dysfonctionnements du système actuel. C’est l’Histoire qui dira si elles les supplanteront définitivement.

Mais un obstacle important peut se dresser devant ce qui peut apparaître comme une utopie et cet obstacle c’est la réaction du système en place. A la question comment éviter que les autorités gouvernementales ne fassent appel à la loi pour mettre un terme à une expérience qui remet en cause le fonctionnement actuel de la société, sinon de l’Etat, la réponse est immédiate (ou presque, Noubel s’accordant systématiquement quelques secondes de silence avant de s’exprimer) : rien ne résiste à Internet.
En effet, l’ensemble du projet est basé sur son utilisation  (et celle des téléphones portables) qui permet de créer des réseaux de communications instantanés sans pratiquement aucune limite. Le Meta Currency Project, nom donné au développement en cours de ces monnaies libres et des protocoles nécessaires, est basé sur l’ouverture, sur la transparence totale des règles, des données et des moyens de transport utilisés. Il n’y pas besoin de Clearstream avec les monnaies libres et il ne peut pas y avoir de Madoff ! Comme avec les logiciels libres, la notion  de "forking" s’applique. A tout moment, un autre chemin utilisant d’autres règles peut-être proposé qui sera validé (ou non) sur le  principe du "qui m’aime me suive".

Le projet est enthousiasmant mais j’y apporterai un petit bémol : je ne suis pas très réceptif à l’aspect développement personnel qui l’accompagne et je me méfie du caractère un peu sectaire que pourrait prendre ce genre de communauté. Néanmoins, il me semble qu’il y a là des pistes prometteuses pour l’avenir et j’attends avec impatience l’ouverture effective du "Flowplace" prévu pour la fin de l’année qui devrait permettre à la machine de se mettre en branle. On verra alors si le futur a vraiment commencé.