Joseph Tchundjang Pouemi, le Keynes Africain ?
Par RST le jeudi, 1 septembre 2011, 18:53 - Monnaie - Lien permanent
J’ai déjà eu l’occasion de dire sur ce blog tout le bien que je pensais du seul et unique ouvrage écrit par l’économiste camerounais Joseph Tchundjang Pouemi intitulé "Monnaie, servitude et liberté : la répression monétaire de l’Afrique". Je ressentais néanmoins une certaine frustration due au fait qu’il était très difficile d’obtenir des informations sur l’auteur qui semble totalement inconnu en France. Grâce notamment à la puissance d’Internet, mes recherches à ce sujet ont connu récemment des développements significatifs qui me font poser la question : J.T.Pouemi ne serait-il pas, d’une certaine manière pour l’Afrique, ce que Keynes fut pour le monde occidental ?
C’est en lisant le manifeste
(voir annexe) du "Mouvement
Tchundjang Pouemi pour l’éducation populaire en matière monétaire et économique"
(MTP) – aimablement transmis par Hubert
Kamgang – que la question a germé dans mon esprit. Il établit en effet
clairement un parallèle entre les deux économistes. Est-ce réellement
justifié ? Tout avis argumenté sur le sujet sera le bienvenu.
A noter que je ne suis pas
nécessairement d’accord avec tout les objectifs que se fixe le MTP – et
notamment celui d’une monnaie unique en Afrique – mais je ne peux qu’être
vivement intéressé par un mouvement qui, dans ses statuts, se donne notamment
pour mission "de rendre la monnaie
intelligible, afin de faire prendre conscience de son importance à tous ceux
que le fonctionnement du corps social
intéresse, économiste ou pas".
J’ai aussi eu la chance de
découvrir récemment un long texte
très bien écrit, en forme d’hommage à Pouemi, qui permet de mieux cerner
quel homme il fut. Je vous propose ci-après les passages les plus significatifs.
(…) L’histoire de Joseph Tchundjang Pouémi, c’est comment on devient un mythe. Il est l’homme d’un seul livre (…). De l’auteur de Monnaie, Servitude et Liberté (1981), on ne sait pas grand chose. On sait à peine à quoi il ressemblait, dans quelles circonstances exactes est-il mort, où repose t-il. Les Camerounais et les Africains se souviennent cependant que ce professeur d’économie fut en son temps l’un des très rares réputé au-delà des frontières de son pays, et surtout le seul à avoir laissé la trace de sa science, en un message que contient en lui-même le titre de son ouvrage.
Il y a de grandes thèses en économie qui vieillissent piteusement. Celle de Tchundjang Pouémi y échappe, elle est plus actuelle que jamais. L’auteur délivre un mot d’ordre, un cri à destination de la conscience africaine : il n’y a pas d’indépendance digne de ce nom sans maîtrise de l’instrument monétaire, parce que la monnaie confère le pouvoir politique.
(…) A l’époque de la maturation des idées du professeur Tchundjang Pouémi, au cours des années 1970, rares sont les Africains qui étaient capables d’élucider les phénomènes monétaires, tant soit qu’il y en ait davantage aujourd’hui. Il savait s’adresser au public, il savait écrire ; ce qui n’est pas vraiment donné à tous les économistes. Son sujet le passionnait ; il considérait que la monnaie était le « phénomène social par essence ». Tchundjang avait fait ses études – brillantissimes – en France, pas auprès de n’importe qui : ancien élève du futur Nobel Maurice Allais, ancien disciple de Jacques Rueff, ancien lauréat à Clermont-Ferrand, il intégra l’école des statisticiens de l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (Insee) à Paris. Après son Doctorat de Sciences Economiques en 1968, il était retourné au pays enseigner. (…) il considérait fondamentalement que la science (économique) devait être mise à la disposition de l’art (de la politique).
(…) Joseph Tchundjang Pouémi, vous étiez un grand professeur. (…).Lorsque dans un siècle et demi les économistes africains parleront de vous, ce sera avec un profond respect, au nom de votre audace et de votre antériorité ; comme on fait pour les Say, les Bodin et les Walras.
(…) On dit qu’Ahidjo vous a courtisé pour entrer dans son gouvernement, et que vous y avez opposé une fin de non recevoir. Vous auriez même pu participer au gouvernement de Houphouët Boigny en Côte d’Ivoire. Vous avez campé sur votre territoire propre : la science, l’université.
(…) Vous auriez pu, en France ou dans un pays plus accueillant, faire une belle carrière à l’université ou à la banque.
(…) Vous adoriez l’odeur de la craie, les yeux admiratifs de vos étudiants de Yaoundé, de Douala ou d’Abidjan ; sans oublier l’ambiance poussiéreuse des minuscules bibliothèques du pays. (…) longtemps encore, les mères qui prennent l’école au sérieux, les pères qui ont une certaine idée de la gloire, diront à leur gosse : « Sois quelqu’un comme Tchundjang ! »
Et longtemps encore, je parlerai de lui sur ce blog ! … En espérant donner au plus grand nombre, l’envie de lire "Monnaie, servitude et liberté" ouvrage indispensable pour comprendre la monnaie et son rôle dans le fonctionnement – et les dysfonctionnements – de l’économie.