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« Depuis des années, plus aucune décision politique ne se prend sans consulter les augures  économiques sur la croissance à venir. Et ces pythies se livrent entre elles, dans leurs temples modernes appelés INSEE, Rexecode, OCDE, FMI, à des formules et des incantations mystérieuses pour finalement rendre un verdict implacable, qui autorise ou non nos gouvernements à mettre en  œuvre les politiques pour lesquelles ils sont élus.

La France vient encore de donner le spectacle grandiose de cette consultation antique des augures, en bordant à la hâte un plan de rigueur pour tenir compte de l’abaissement de la prévision de croissance à 1,75%. De quel vol d’oiseau, de quelle entraille de pigeon, de quel marc de café les économistes autorisés par le pouvoir à lire l’avenir collectif ont-ils tiré cet enseignement qui pousse un gouvernement démocratiquement élu à prendre des mesures à 12 milliards d’euros ? »

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« En vérité, nous avons collectivement depuis des années renoncé à maîtriser notre destin et, à la manière des anciens Romains, nous nous remettons à des dieux anthropomorphes et à leurs augures plus ou moins malveillants le soin de choisir pour nous les grandes décisions collectives. »

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« Et depuis le fameux rapport Stiglitz sur la croissance, c’est-à-dire depuis 2009, la France ne peut plus dire tout haut qu’elle ignore ce que les économistes savent tout bas depuis longtemps. D’abord que la croissance n’a jamais fait le bonheur. (…) Ensuite, que la croissance, c’est un simple agrégat économique qui mesure l’évolution de la valeur ajoutée. Autrement dit, la somme des chiffres d’affaires des entreprises. Pour le meilleur comme pour le pire. Une école se construit ? Le PIB augmente. L’école est gratuite ? Le PIB stagne. L’école est payante ? Elle dégage du chiffre d’affaires, et le PIB augmente. On construit une maison ? Le PIB augmente. On la garde de père en fils ? Le PIB stagne. Un tremblement de terre la détruit et il faut la reconstruire ? Le PIB augmente. Ce n’est que cela la croissance. La somme des échanges économiques, pour le meilleur lorsque cela apporte du bien-être, pour le pire lorsque ces échanges correspondent à des événements négatifs.

Pour relancer cette fameuse et mystérieuse croissance, nous nous endettons constamment depuis 30 ans. Jusqu’à l’excès. Jusqu’à la déraison. C’est le propre des dogmes religieux que de pousser les croyants à agir en toute bonne foi, mais en dépit du bon sens. En réalité, n’importe quel gouvernement, de droite comme de gauche, se serait damné, et même s’est damné, pour gagner ne serait qu’un demi-point de croissance, comme une concession qu’on arrachait aux dieux à force de libations et d’offrandes. Résultat ? La somme des dettes contractées pour ces offrandes non seulement est infiniment supérieure aux résultats obtenus, mais même est si coûteuse que nous sommes au bord de la faillite. »

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