La monnaie, un bien vide qui se remplit
Par RST le vendredi, 3 juillet 2009, 23:45 - Monnaie - Lien permanent
Il y a une multitude de façons d’appréhender le concept de la monnaie et d’expliquer les mécanismes donnant lieu à sa création et à son fonctionnement. Joseph Tchundjang Pouemi, dans un ouvrage dont j’ai parlé dans un billet précédent, propose une description tout à fait pertinente qui a l’avantage, me semble-t-il, d’être facilement compréhensible par le commun des mortels grâce à son caractère imagé, pratique, presque intuitif. Il semble que l’économiste africain ait parfois fait appel au conteur africain et à ses "talents pédagogiques ancestraux", comme suggéré dans la préface, pour nous faire partager ses convictions que je vais essayer de résumer dans ce qui suit. On y parlera de monnaie mais aussi d’épargne et d’investissement.
Une définition de la monnaie
Nous ne détaillerons pas ici le fonctionnement des banques commerciales qui, aussi simple qu’il paraisse « est à l’origine d’erreurs, jusque dans les milieux spécialisés» et nous acceptons sans réserve la définition donnée par Pouemi : « La monnaie, c’est une créance à vue sur le système bancaire ». Elle est constituée par les dépôts à vue dans les livres du banquier qui ne sont « nullement une somme préalablement déposée par l’entreprise » – ou un particulier – et par la monnaie fiduciaire, qui seule, a force libératoire. Les dépôts à terme, eux sont bien des sommes déposées par les clients. Selon Pouemi, ils ne sont pas de la monnaie tant qu’ils n’ont pas été préalablement retirés et placés à vue. Dans cette acception, on comprend donc que seul l’agrégat M1 est considéré comme de la monnaie. C’est ce que l’auteur appelle "un bien vide", créé à partir de rien, en contrepartie du crédit – « qui n’est qu’un autre nom de la monnaie » – « à l’usage de tout ceux qui ne font pas partie du système bancaire pour effectuer leurs paiements ».
A noter que la distinction entre dépôts à vue et dépôts à terme avait déjà été faite par Keynes et que c’est entre autre parce que Friedman lui, mélangeait ces deux choses de nature différente et considérait que la monnaie c’était M2, qu’il a bâti sa théorie niant l’influence du taux d’intérêt – et donc rejetant l’intervention de l’Etat – en le faisant disparaître alors qu’il est l’instrument qui « permet de partager le revenu entre dépôt à vue et dépôt à terme »
La monnaie précède la
production qui la remplit
Comme nous le savons, le développement du crédit a permis le développement de l’industrie et du commerce. L’entrepreneur n’a pas besoin d’accumuler préalablement les sommes nécessaires pour monter son usine, payer ses ouvriers ou ses matières premières car « (…) la création monétaire précède et conditionne la production. Le système bancaire crée la monnaie contre le crédit, c’est un bien vide. Il la détruit au fur et à mesure du remboursement de ce même crédit, en biens remplis » Et ces biens remplis prennent la forme de revenus qui sont utilisés, soit pour consommer soit pour épargner. Il y avait au départ le crédit, c'est-à-dire un nombre créé dans les livres de la banque représentant la quantité de monnaie, bien vide, qui a permis de réaliser la production. Il y a, à l’arrivée, des produits dont la vente permet le remboursement du crédit – et donc la destruction de la monnaie – et le paiement des salaires et des matières premières, des biens remplis.
Cette notion de "bien vide" et de "bien rempli" est le fil conducteur du livre qui permet, par exemple, d’analyser les phénomènes d’inflation, la nature et le rôle des réserves ou encore d’expliquer en quoi l’Afrique a été exploitée au travers de la monnaie.
Epargne et investissement
La monnaie ne se résume pas à ce qui précède et la manière dont elle est utilisée, dont elle circule, a une importance fondamentale. Dans ce domaine aussi, il faut se méfier des évidences et même si cela ne semble pas intuitif, il y a des situations où l’investissement doit précéder l’épargne, un peu sur le même principe qui veut que la monnaie précède la production.
Nous sommes ramenés ici à
reprendre la distinction entre crédits à terme et crédits à vue. Les premiers
servent à reculer, grâce aux investissements appropriés, ce que l’auteur
appelle la "limite des possibilités
maxima" – que Keynes appelait niveau de plein emploi – et qui
constitue en fait l’état optimal que l’économie peut atteindre compte tenu de
ses capacités de production. Les seconds permettent d’atteindre cette limite :
« (…) il y a deux types d’investissement : d’une part celui que l’on
peut appeler investissement d’équipement, et qui autant que possible doit être
financé par l’épargne, le revenu non consommé, et d’autre part ce que John Maynard Keynes appelait "dépense
d’investissement", et qui n’est autre que le crédit à la production – il
est financé par la monnaie »
Pour résumer, et si j’ai bien
compris, financer des infrastructures qui ne rapporteront rien doit se faire
avec des "biens pleins"
tandis que financer des moyens de production doit se faire avec de la monnaie,
"bien vide" qui se remplira
ensuite du fait même de la production.
Joseph Tchundjang Pouemi nous
propose dans son livre un cours accéléré de macroéconomie et d’économie
monétaire. C’est ma compréhension des choses que j’ai cherchée à résumer en
partie ici, sachant qu’il reste de nombreux points à aborder comme l’inflation,
les taux d’intérêts ou la notion de sous-développement.
Ce cours d’économie est le
passage obligé qui mène ensuite l’auteur vers la critique du fonctionnement du système
monétaire international et des dégâts qu’il a engendré en Afrique. Cet aspect
capital n’a volontairement pas été abordé ici, notamment à cause de sa
complexité. Il reste à chacun à lire la totalité de cet ouvrage remarquable
pour se faire sa propre opinion.