D’humeur badine en ce jour pluvieux, je prends le temps, poliment, de faire part à mon interlocuteur – qu’au son de sa voix, j’imagine jeune – de mon désintérêt complet pour sa proposition d’analyser ma situation en vue de faire fructifier mon oseille, et par ma crainte de lui faire perdre son temps… et le mien par la même occasion. Visiblement bien préparé à ce genre de réponse, il me demande alors s’il peut néanmoins m’interroger sur les raisons d’un tel refus. Je lui confirme qu’il le peut   ce qu’il fait, après quelques secondes d’hésitation qu’il met à profit pour s’assurer de la bonne compréhension de ma réponse. Je lui fais donc part de mes positions relativement tranchées sur le monde de la finance, funeste casino géant dont le fonctionnement heurte de front l’ensemble de mes principes et convictions. Convaincu de lui faire rapidement lâcher prise, je lui indique que je ne joue plus en bourse depuis longtemps, et que quand bien même j’avais la certitude qu’il puisse me faire gagner des millions, ma conscience m’interdirait de lui confier les rares économies qui dorment vraisemblablement sur un livret quelconque. Pour me prouver que j’ai affaire à des gens sérieux, il rétorque qu’il ne prétendra jamais pouvoir me faire gagner des millions, mais seulement "optimiser mon patrimoine". Afin de me débarrasser définitivement du freluquet (il pèse peut-être 120 kg en réalité, qui sait ?) auquel, pour une raison qui m’échappe totalement, je n’ose pas raccrocher au nez, je lui balance ce que je pense être l’argument fatal, celui qui lui fera, je n’en doute pas, abandonner la partie, submergé par l’écoeurement devant tant d’inconscience. Je lui explique donc que je suis extrême dans mes convictions anticapitalistes. Ainsi, je n’envisage même pas d’acheter un appartement pour le louer, tant cela me parait constituer rien de moins qu’une exploitation éhontée de l’état d’impécuniosité de mon prochain n’ayant pas les moyens de s’offrir son propre petit nid douillet. Dans un vibrant cri du cœur, mon gaillard  proteste que cela l’arrange bien, lui,  de pouvoir louer un appartement pour se loger. Je réplique qu’il préférerait sûrement être propriétaire, ce qu’il concède sans difficulté, et la discussion continue, amusé que je suis finalement, de poursuivre ma croisade contre l’empire du mal. Je glisse dans la conversation  mon espoir de ne pas être enregistré et dénoncé à mon patron, ce qui finit de détendre définitivement l’atmosphère, avant que mon interlocuteur ne me donne finalement congé, en indiquant qu’il aurait été ravi de me rencontrer, en dehors de toute considération professionnelle.

Pour finir dans la joie et la bonne humeur, je lui conseille d’être prudent tout de même, si lui non plus ne veut pas perdre rapidement son job. A la manière énergique dont il répond qu’il ne craint rien, j’ai bien compris que nous n’étions pas si éloignés dans notre façon de voir les choses, et que le petit gars (il mesure peut-être 1m95en réalité, qui sait ?) devait visiblement, lui aussi, se poser des questions sur la finalité de son boulot. Comme moi, il n’est rien de plus qu’un minuscule rouage de l’immense machine qui nous broie et que nous faisons cependant fonctionner pour gagner notre vie, en attendant … de la perdre définitivement. Car comme disait l'autre, être vivant c'est être en danger de mort !