Un homme (très) utile (1/2)
Par RST le dimanche, 13 décembre 2015, 18:00 - Notes de lecture - Lien permanent
Pierre-Noël Giraud peut
sans conteste revendiquer le titre d’homme utile. Son dernier ouvrage intitulé
« L’Homme inutile » et sous-titré « Du bon usage de l’économie » fait partie de
ces livres qu’il faut avoir lu si l’on veut comprendre le fonctionnement de nos
sociétés et tenter d’anticiper ce qui nous attend pour espérer pouvoir réagir
si nécessaire. Giraud a cette capacité, à partir de l’analyse économique qu’il
fait du monde actuel, de nous proposer sa vision du futur en fonction des
politiques qui seront mises en œuvre. Et ça décoiffe, qu’on en juge par cette
prédiction de notre professeur d’économie qui, rappelons-le, est ingénieur de
formation : « Une humanité de 4 milliard
d’individus à la fin du XXIIe siècle, ayant engrangé près de deux siècles de
progrès techniques supplémentaires, vivra très bien, si elle le veut, sur une
planète dont la température moyenne aura augmenté de 4 à 5°C » !
Le livre débute par
une critique, certes intéressante, mais néanmoins classique désormais, du
fonctionnement de l’économie dont l’objet véritable pour Giraud n’est pas la
croissance mais les inégalités. Beaucoup moins classique cependant est
l’analyse prospective argumentée que fait ensuite l’auteur pour montrer que
Malthus s’est trompé et que, grâce au progrès technique – annoncé comme «
prodigieux » dans les 30 ans à venir – et à la transition démographique qui
devrait entrainer une diminution de la population mondiale à partir du début du
siècle prochain, « nous n’avons aucun
véritable problème de ressources, mais des problèmes de poubelles qui débordent
et souillent tout le reste de la planète ».
En réalité, si l’on
adhère aux thèses de Giraud, on comprend vite que la plus grande menace que
doive affronter l’humanité c’est elle-même et son incapacité à s’organiser pour
assurer une existence décente à tous ses membres dont certains deviennent alors
« inutiles » que ce soit aux autres mais aussi à eux-mêmes. Le thème de
l’inutilité avait déjà été abordé par Giraud dans un cadre officiel. Il le
développe et le précise ici en s’appuyant – pour définir un niveau de justice
minimal – sur Pareto et son célèbre critère, sur John Rawls et son concept de
panier de biens premiers minimums et sur
Amartya Sen et sa définition des libertés substantielles.
Sous l’effet de la
globalisation qui voit certes la réduction des inégalités internationales entre
pays rattrapés et pays émergents, les inégalités internes elles, se creusent
avec pour conséquence dans les pays riches le laminage des classes moyennes,
piliers de la démocratie parlementaire et de l’Etat social-démocrate. C’est dans ce cadre que Giraud développe son
modèle économique original basé sur le concept d’emplois nomades et d’emplois
sédentaires. Il montre comment les firmes globalisées mettent en concurrence
les emplois nomades de différents territoires, comment cela impacte les emplois sédentaires d’un même territoire et
crée un réservoir d’hommes inutiles avec à terme, un risque que la guerre
civile se substitue à la guerre des classes sous l’effet de « l’errance des
conflits économiques ». Le rôle de la finance dans tout ça n’est pas passé sous
silence. Son instabilité chronique est dénoncée qui ne fait qu’aggraver la
situation.
Dans la dernière partie du livre, Giraud aborde les choses sous l’angle politique et propose des solutions pour éviter les dangers qu’il dénonce, notamment la guerre civile. Nous y reviendrons dans un prochain article. A suivre donc …