Un homme (toujours) utile (2/2)
Par RST le lundi, 14 décembre 2015, 20:38 - Notes de lecture - Lien permanent
Comme convenu, voici la suite de ma note de lecture concernant le dernier ouvrage de Pierre-Noël Giraud. Autant son utilité n’est plus à démontrer quand il s’agit d’analyser la situation actuelle et d’imaginer notre futur avec plus ou moins d’optimisme, autant lorsqu’il s’agit de proposer les moyens d’aller de l’une à l’autre – que l’on choisira brillant de préférence – la question peut être posée de savoir à quoi joue exactement notre polytechnicien, passé le stade de la simple provocation. Comment en effet interpréter autrement ce genre de prédiction ? : « Les Africains et les Africaines n’échapperont pas, s’ils veulent s’extraire de l’inutilité rurale et surtout urbaine, aux sweat shops, aux semaines de 7 jours, aux dortoirs d’usine surpeuplés, aux contremaîtres brutaux, aux salaires de subsistance ».
Ce n’est là qu’un
exemple parmi d’autres des bouffées délirantes qui semblent s’emparer de l’auteur.
On peut aussi mentionner dans le même genre d’idée, la proposition d’une
tolérance contrôlée (sic) des clandestins dont on rendra l’entrée sur le
territoire si difficile que la récompense, pour ceux qui réussiront malgré tout
à passer, sera la régularisation ! Enfin pour conclure sur ce chapitre des
propositions imaginées indubitablement sous l’emprise de produits introuvables
dans le commerce, citons l’appel répété aux «experts » qui mettront en
musique les solutions esquissées et que – je ne vois pas d’autre explication –
la fainéantise naturelle de l’auteur pousse visiblement à ne pas détailler plus
que ça. Sans oublier l’apothéose, à savoir la recommandation – accrochez-vous, ça
va tanguer – de « faire confiance à
l’imagination des ingénieurs financiers ».
Et puis il y a les
propositions qui pour apparaitre « raisonnables » n’en sont pas moins
inacceptables comme la flexibilisation
du marché du travail (qui revient à paupériser les salariés), la stimulation de
la compétition (qui n’est rien de plus que la guerre de tous contre tous au
profit de quelques-uns) ou un plus grand fédéralisme au niveau européen
(inenvisageable dans un délai raisonnable).
Mais il y aussi heureusement
des suggestions dignes de l’auteur et qui méritent considération comme la
taxation du pétrole afin d’assurer que son prix ne passe jamais sous un
plancher à fixer entre 80 et 100 dollars par baril, la nécessaire réindustrialisation
du pays, la traçabilité généralisée des biens et services ou enfin, la stricte
séparation entre les banques commerciales et les institutions financières
gérant de l’épargne.
Avant de conclure,
le monomaniaque que je suis ne pouvait résister au plaisir de citer in-extenso
l’une des propositions faite par Giraud. Il s’agit, vous l’aurez compris de
politique monétaire et l’on peut lire ceci : « La création monétaire doit financer de façon régulière les
investissements publics et privés […] et de façon irrégulière, à fin de
régulation conjoncturelle, la consommation de l’Etat et des ménages. Notons que
la santé et la formation sont des investissements et non des dépenses courantes
publiques et peuvent donc être financées par création monétaire ». Rien que pour cela, Giraud peut revendiquer le
qualificatif d’homme très utile !
Ce qu’il ne revendique pas par contre c’est d’avoir l’âme d’un révolutionnaire. Cela est tout à fait respectable. Il n’empêche que les derniers chapitres de son livre consacrés à sa vision politique laisse poindre, selon moi, un certain déchirement sans doute inconscient entre sa volonté affirmée de « privilégier les voies étatiques » et la prise en compte de la réalité qui veut que « l’exigence des réformes vient toujours de l’extérieur ». A la question « que faire ? » n’envisage-t-il pas très clairement de « déclencher des moments particuliers de soulèvement contre l’impéritie et la corruption des Etats » ?