Le constat est sans appel avec la dénonciation d’un système politique où les citoyens « jouent un rôle passif, silencieux, voire apathique, et répondent uniquement aux signaux qu’on leur envoie » et où « les candidats des élites sont obligés de mener des campagnes publicitaires pour persuader les citoyens de voter ». Un système où les entreprises multinationales ont pris le pouvoir et dictent leurs conditions au reste de la société, face à un Etat qui a perdu confiance en lui, abandonnant son autorité et le sens du service publique, faisant la part belle au capitalisme sauvage, permettant ainsi la prise du pouvoir par une minorité d’individus.  

On serait tenté de répliquer qu’historiquement, tout cela n’est pas bien nouveau, mais Crouch soutient qu’au milieu du XXe siècle nous avons connu un moment de démocratie maximale où, par exemple, les entreprises étaient largement subordonnées à l’autorité de l’Etat-nation et où le rapport de force découlant de la structuration des classes sociales limitait le pouvoir des possédants à travers une certaine forme de compromis social. Il est intéressant de noter que l’analyse du politologue anglo-saxon rejoint celle que d’autres ont pu faire par ailleurs en France. Ainsi, quand Crouch nous explique que le New Labour en Angleterre « s’est identifié plus ou moins aux intérêts des capitalistes », on ne peut s’empêcher de faire immédiatement le lien avec Frédéric Lordon qui, dans son dernier texte, dénonce le Parti Socialiste français et son « entrée dans la collaboration délibérée avec le capital ». Ce même Lordon qui dans "Capitalisme, désir et servitude" étudie en profondeur les mécanismes permettant au patronat capitaliste de régenter nos existences, faisant écho à l’analyse de Crouch sur « l’essor de l’entreprise en tant qu’institution » et « ses implications pour les mécanismes essentiels d’un gouvernement démocratique. »   

Mais l’intérêt réel de "Post-démocratie" réside avant tout dans les pistes proposées par l’auteur pour, non pas revenir en arrière, ce qui est impossible, mais faire en sorte que « le processus électoral démocratique, expression la plus haute des droits des citoyens » ne se résume pas à n’être qu’une « campagne de marketing fondée ouvertement sur les techniques de manipulation employées pour vendre les produits ». Car  même si « la tension entre les revendications égalitaires de la démocratie et les inégalités résultant du capitalisme ne pourra jamais être résolue », la démocratie reste un idéal qui, bien qu’impossible à atteindre, fixe à tous un objectif. Parmi ces pistes, il y a la nécessité de repenser les structures comme les partis politiques qui certes restent indispensables mais dont la tendance à fonctionner comme des entreprises oligopolistiques doit être combattue. La diversité des mouvements doit donc être fortement encouragée de même que l’action de forces extérieures, type mouvements sociaux centrés sur une cause particulière, afin de peser sur ces partis. Il y a aussi cette idée qui enchantera Etienne Chouard, d’une assemblé composée de citoyens choisis au hasard et qui aurait un pouvoir législatif dans certains domaines.      

Est-il encore temps et cela sera-t-il suffisant pour faire en sorte que l’après post-démocratie ressemble plus à la démocratie qu’à l’avant démocratie ? Rien n’est moins sûr. Dans "Après la démocratie", Emmanuel Todd, dont l’analyse rejoint celle de Colin Crouch sur certains points, notamment quand il nous parle de démocratie de manipulation, d’égalitarisme ou de classe dérivante, Emmanuel Todd donc, n’hésite pas à envisager sérieusement la menace d’une suppression du suffrage universel comme conséquence des dérèglements actuels! Dans la préface à l’édition française, Colin Crouch écrit « qu’une démocratie plus forte aurait réussi à rejeter la tentation d’une économie fondée sur le crédit facile et la dérégulation ». Espérons donc que nous n’ayons pas à regretter que notre démocratie n’ait pas été assez forte.