Evacuons d’emblée la question de la pertinence des sondages. Comme l’a écrit  Emmanuel Todd dans "Après la démocratie", nous vivons dans une démocratie de manipulation d’opinion : « (…) analyser inlassablement les sondages : la démocratie non pas d’opinion comme on la qualifie parfois, mais de manipulation  de l’opinion (…) ». Il est donc assez savoureux de constater que le même Todd s’appuie sur un sondage pour défendre ses théories. Mais c’est de bonne guerre. Reconnaissons donc le grand mérite des instigateurs de ce sondage qui ont, en fait, utilisé les mêmes armes que leurs adversaires pour faire en sorte que le débat sur le libre échange devienne l’un des enjeux des prochaines présidentielles. Qu’ils en soient remerciés.

Mais revenons au très intéressant article de Chavagneux qui nous propose fort à propos, un florilège de déclarations d’économistes libéraux, que je vous livre telles qu’elles, dénonçant les dangers de la mondialisation :

"Ainsi, des 2003, le très libéral hebdomadaire britannique The Economist écrivait-il: « Désastres financiers périodiques, crises de la dette, fuites de capitaux, crises de changes, faillites de banques, krachs boursiers..., c’est assez pour forcer un bon libéral a s'arrêter pour réfléchir. »"

(…)

"En 2003, c'est Kenneth Rogoff, alors économiste en chef du Fonds monétaire international (FMI), qui écrit qu'il n'y a aucun élément « pour soutenir l'argument théorique selon lequel la mondialisation financière en soi permet d'obtenir des taux de croissance plus élevés ». « Les risques de la mondialisation financière ont été sous-estimés et les gains surestimés », renchérit en 2005 un rapport de la Banque mondiale dirige par Roberto Zagha. Raghuram Rajan, lui aussi ancien économiste en chef du FMI, profite de la grande réunion annuelle des banquiers centraux à Jackson Hole, en août 2006, pour en rajouter : « Les pays en développement qui ont relativement plus recours aux capitaux étrangers n'ont pas cru plus vite sur le long terme et ont même cru moins vite. »
En 2008, c'est au tour de Maurice Obstfeld, l'un des spécialistes américains du sujet, de proposer un état des lieux de la littérature économique sur les effets de l'ouverture financière, dans lequel il souligne que « la démonstration concrète des gains de la mondialisation financière (...) s'est révélée difficile à prouver de manière définitive ». Enfin, dans leur livre paru en 2009, Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff montrent explicitement que les périodes de libéralisation financière nationale et internationale sont celles qui connaissent le plus de crises."

(…)

"En 2007, l'économiste américain Paul Krugman avait fait sensation en retournant sa veste : alors qu'il affirmait jusque-là que les échanges avec les pays émergents avaient peu d'impact sur les inégalités, il écrit désormais qu'avec l'arrivée de géants comme la Chine, « il n’ est plus sans risque, comme cela l'était il y a douze ans, de dire que les effets du commerce sur la répartition des revenus dans les pays riches sont assez mineurs. On peut maintenant affirmer qu'ils sont plutôt importants et ne font que s’accroitre.»
En France, une première étude de l'Insee parue en 2005 conclut à une perte de 13500 emplois par an entre 1995 et 2001 du fait de la mondialisation. En 2010, une nouvelle étude du même institut monte le bilan à 36 000 emplois perdus par an entre 2000 et 2005. Certes, c'est toujours quatorze fois moins que l'impact des gains de productivité réalisés par les entreprises, mais la facture pèse sur le débat politique.

Enfin, sur le plan théorique, l'économiste américain Paul Samuelson, dont les écrits avaient beaucoup fait pour promouvoir l'idée que les sociétés gagnaient toujours à s'ouvrir, surprend tout le monde en publiant en 2004 un article dans lequel il démontre que lorsqu'un pays riche échange avec un pays pauvre et que ce dernier devient très efficace dans la production des biens qu'il avait l'habitude d'acheter au pays riche, ce dernier s'appauvrit. Un tel scenario a-t-il des chances de se réaliser ? « La réponse à cette question est bien évidemment: oui », affirme Samuelson, rappelant entre autres exemples historiques que « l'hégémonie de l'industrie victorienne a été mise en cause par l'irruption des entrepreneurs "yankee" après 1850 ».

L’évolution actuelle de la Chine (industrie) et de l'Inde (services) fait craindre que nous ne subissions le même sort.

A la lecture de toutes ces déclarations, on finit par se demander qui en réalité défend la mondialisation. On peut s’en faire une petite idée si l’on considère, comme l'économiste américain Dani Rodrik que "Si l'on accepte l'hypermondialisation et que l'on veut néanmoins la démocratie, il faut alors abandonner l'Etat-nation et passer à la gouvernance mondiale pour bâtir une autorité politique publique qui soit de même niveau que celle des marchés."

Malgré tout l’intérêt de cet article, il est regrettable qu’une fois de plus C.Chavagneux ne puisse s’empêcher de conclure en dérapant dans des considérations désobligeantes et des amalgames douteux :

"Les partisans d'un repli national gagnent du terrain en Europe et en France. Du Front National à l'économiste Jacques Sapir en passant par Jean-Luc Mélenchon, Emmanuel Todd, Arnaud Montebourg et d'autres, chacun avec sa sensibilité et ses engagements, tous verraient d'un bon œil le retrait de la mondialisation. "

Je ne perdrai pas de temps ici à dire pourquoi ce genre de propos dénué de tout fondement est totalement stupide. Il a néanmoins l’énorme avantage de ne pas me faire regretter ma décision de cesser mon abonnement à Alternatives Economiques. Quitte à lire ce genre d’âneries, autant le faire à la source avec Les Echos, La Tribune ou le Financial Time. A se demander d’ailleurs si la mauvaise foi et l’aigreur du rédacteur en chef adjoint ne trouvent pas leur origine dans sa frustration de ne pas travailler pour ces publications ?