André Orléan, dans la préface, résume la principale démonstration de B.Lemoine : « la dette publique de la France, telle que nous la connaissons aujourd’hui, à savoir sous la forme de titres négociables que souscrivent les marchés financiers internationaux, est le résultat d’une volonté délibérée, d’un choix politique ! (…) [pendant de très nombreuses années] La plus grande partie du financement public était obtenu via des mécanismes réglementaires qui contraignaient un ensemble d’acteurs économiques, (…) à placer leurs avoirs, pour partie ou pour totalité, dans un compte du Trésor ».  C’est ce qu’on appelait le Circuit du Trésor et c’est sa disparition programmée que décrit l’auteur qui, réfutant la théorie du complot, nous rappelle qu’initialement, « la mise en marché de l’emprunt souverain a été conçue (…) comme une solution à l’inflation ». Pour lutter contre cette dernière, « il faut "neutraliser" le rôle monétaire du Trésor et abolir les privilèges de l’ "Etat-banquier" ». A partir de cette conception – dont la pertinence peut et doit être discutée – le livre retrace les efforts des uns et des autres pour faire de l’Etat, « un acteur du marché parmi les autres ». Et l’on découvre alors les mécanismes à l’œuvre qui, réécrivant l’histoire, font de l’appel au marché non plus une réponse à l’inflation mais la mise en accusation de la dépense excessive d’une France vivant au-dessus de ses moyens. Avec comme conséquence, l’importation dans la machinerie comptable étatique des normes financières privées permettant de justifier toutes les politiques au service des intérêts financiers. La dette publique, dont quelqu’un comme Paul-Loup Sulitzer faisait la publicité à la télévision dans les années 80, devient un problème majeur au début des années 2000, l’enjeu de batailles politiques – F.Bayrou en a fait son cheval de bataille lors des élections de 2007 – à  travers son mode de calcul et autour du thème des dépenses publiques. Elle est surtout un outil  de domination et d’inégalités. Comme l’écrivent Bruno Tinel et Franck Van de Velde cités dans le livre, «En baissant les impôts des riches, les gouvernements ont simultanément contribué à déséquilibrer les finances publiques et obligé l’Etat à offrir des titres sur les marchés financiers. Ce qu’autrefois l’Etat obtenait de la part des ménages aisés sous la forme d’un prélèvement fiscal, il ne peut désormais l’escompter qu’en échange d’un taux d’intérêt payé par l’ensemble des contribuables.(…) Les riches bénéficient alors d’une double récompense : le cadeau fiscal d’un côté, et le paiement d’intérêts de l’autre ».

Dans sa conclusion, B.Lemoine écrit qu’ « un grand renversement, toujours à l’œuvre, a fait de l’Etat, non plus la chose mesurante et planificatrice de l’économie, (…), mais bien la chose mesurée par les organisations du marché financier ». « Dans les années 1970, les trois quarts des techniques de financement de l’Etat étaient "non négociables", c’est-à-dire administrés. Dès 1987, cette proportion s’est inversée et les instruments "négociables", régis par la loi du marché sont devenus omnipotents. » Le grand mérite du livre de Lemoine est, en montrant comment nous en sommes arrivés là, de nous convaincre qu’il n’y a aucune fatalité. Si nous nous en donnons les moyens, nous pouvons changer la façon dont l’Etat se finance dans un souci de justice et d’égalité. C’est la conclusion à laquelle était déjà arrivé André-Jacques Holbecq, cité par Lemoine, en 2008 dans son livre « La dette publique, une affaire rentable ». Le mauvais procès qui lui a été fait par certains au sujet du rôle de la loi de 1973 qui s’est révélé finalement marginal, n’enlèvera jamais tout le mérite qui lui revient d’avoir été le premier à faire prendre conscience aux simples citoyens comme moi de ce que j’avais à l’époque qualifié de casse du siècle et qui en est bien un, loi de 73 ou pas.