Daniel Cordier parle de lui mais par la magie de l’écriture, c’est aussi Jean Moulin alias Rex que nous découvrons, "l’homme le plus important de la France libre après de Gaulle". L’admiration et l’affection que lui porte l’auteur sont présentes à chaque instant et nous font découvrir une facette du caractère de Cordier : c’est un affectif. Ecoutons le : " Depuis toujours, mes relations personnelles avec les êtres sont avant tout affectives : je les aime ou je ne les aime pas ; le reste est secondaire. (…) Avec le patron, c’est autre chose. Comme Jeanne d’Arc et de Gaulle - naguère Maurras et Napoléon -, il appartient à mon Olympe". A travers ce changement notable de références, nous abordons là une deuxième caractéristique  du personnage, la profonde transformation que ces années de guerre ont opéré chez lui, remettant en cause le déterminisme de son éducation. "Sous l’étreinte des circonstances" le jeune homme d’extrême droite, antisémite, est devenu un homme de gauche – cette gauche qu’il avait tant combattue – à qui la vue de l’étoile jaune portée par un vieillard et un jeune enfant inspire "une honte insupportable" en lui donnant le sentiment de trahir " l’humanisme, la fraternité entre les hommes" qu’il se vantait de pratiquer dans le christianisme. Mais une telle transformation est-elle si étonnante chez quelqu’un qui avait pour livre de chevet Les Thibault de Roger Martin du Gard et qui voyait en Jacques, le modèle à suivre ?

Pour décrire plus précisément Daniel Cordier et ce que fut son activité aux côtés de Moulin, le mieux reste encore de faire appel à Cordier lui-même. Ainsi, cette description qu’il fait de l’un de ses proches collaborateurs, semble lui convenir parfaitement: " (…) il risque sa liberté et sa vie sans états d’âme, transportant à longueur de journée lettres, argent, postes de radio, armes, paquets (…). Le moindre d’entre eux peut le conduire en prison, à la torture et à la mort. Cet inconnu inébranlable que j’ai appris à respecter est un exemple"

L’objet principal du livre reste néanmoins la Résistance, son action, son mode de fonctionnement, ses objectifs. Et ce que nous fait découvrir Cordier est bien éloigné de l’image exaltée que l’on peut en avoir. Les antagonismes et les conflits sont nombreux à l’intérieur de cette nébuleuse entre les Free French formés à Londres et les chefs de la Résistance qui n’ont jamais quitté le sol national, entre les divers groupes para militaires eux mêmes, ou encore avec les vestiges des partis politiques. Et surtout, la vie de tous les jours n’est pas faite d’actes héroïques mais de tâches essentiellement logistiques visant à assurer les communications entre les divers intervenants. "La légende égare aujourd’hui le lecteur, qui ne connaît que l’aspect romanesque de nos tâches. Je suis toujours frappé par les représentations actuelles qui occultent les difficultés de la vie quotidienne de la Résistance, peureuse, sans éclat, ou ne leur donnent pas leur véritable importance. Elles sont transfigurées par un romantisme de roman d’espionnage, fort éloigné de la véritable réalité." Plus encore que l’impérieuse obligation d’effectuer ces tâches ingrates mais nécessaires, la triste réalité de la Résistance vient de son impuissance à agir : "En dépit de leurs prétentions imaginaires, les mouvements sont incapables d’effectuer la moindre action de guérilla"

Nous ne saurons rien sur Cordier après la guerre. Sa biographie sur Wikipedia nous apprend qu’il choisit de tourner la page et d'oublier radicalement cette période de sa vie, ne parlant plus de la Résistance en public pendant plus de trente ans. Il s'oriente alors vers une brillante carrière de marchand d'art. Comment ne pas voir ici l’influence décisive de Jean Moulin qui dans le court laps de temps où il l’a côtoyé, l’a initié à l’Art et ses mystères ?

Pour  découvrir encore un peu plus cet homme extraordinaire, je vous recommande l’excellente émission d’Arrêt sur image consacrée à la Résistance avec Daniel Cordier qui nous explique, entre autre, pourquoi la France a cessé pour lui d’exister en Juin 1940 et que le salut viendra de l’Europe et plus encore d’un gouvernement mondial. 

Postscriptum: le proche collaborateur mentionné ci-dessus dans la description était Hugues Limonti alias Germain qui devint le chef des courriers de Cordier. C'est J.P. Azéma qui lui rend hommage dans sa biographie de Jean Moulin: "J'ai été reçu par cet homme remarquable, chaleureux et modeste, devenu le patron d'un tout petit atelier après avoir survécu à la déportation; lui du moins fut nommé Compagnon de la Libération"