Recherche économiste de droite, désespérément
Par RST le samedi, 31 mars 2012, 18:25 - Politique - Lien permanent
On s’interrogeait ce jeudi soir, dans le cadre prestigieux du Théâtre
national de Chaillot, pour savoir si l’OPA de la finance sur le monde des
économistes avait réussi. Pour répondre à cette question, Mediapart avait
invité des économistes, officiellement de gauche comme Jacques Généreux et Liêm Hoang-Ngoc, probablement
de gauche comme André Orléan, mais aussi des
journalistes comme Christian Chavagneux (Alternatives Economiques) et Laurent
Mauduit (Mediapart), pour ne citer que quelques-uns des intervenants invités à prendre la parole
devant plus de 400 personnes.
Laurent Mauduit, qui vient de sortir un livre intitulé "Les imposteurs de l’économie", fut
le premier à s’exprimer pour dénoncer les conflits d’intérêts au sein de la
communauté des économistes français, dont certains ne reculent pas devant le
mélange des genres, pourtant proscrit par la loi qui interdit aux agents de
l’État de travailler pour le secteur privé. Le tableau brossé par Mauduit n’est
pas réjouissant, qui lui fait se poser la question de savoir si le combat ne
serait pas déjà perdu. Notamment parce que l’on assiste à la privatisation
rampante de l’enseignement de l’économie, favorisée par les réformes mises en œuvre par Valérie
Pécresse. Comme on pouvait s’en douter, l’introduction des financements privés
dans les universités a permis au monde de la finance de voir son influence
s’accroitre grandement, remettant dangereusement en cause l’expression, certes déjà
timide, de la pluralité des opinions. Or cette pluralité est particulièrement
nécessaire en économie car comme l’a rappelé
André Orléan, au cas où certains l’auraient
oublié, l’économie n’est pas une science dure. Les valeurs propres de
l’économiste vont influencer sa manière d’appréhender les choses. Il y a une
part de subjectivité qui interagit avec ce qu’il produit. Cet état de fait rend
donc tout à fait nécessaire la pluralité des points de vue. Et les attaques
contre l’expression de cette pluralité se font dès l’enseignement secondaire
avec la réforme des programmes qui, comme l’a dénoncé Erwan Le Nader,
vice-président de l’Association des professeurs de SES, a pour objectif de
supprimer tous les sujets qui fâchent et qui font cogiter les lycéens. Il
appelle donc, en cas de changement de majorité, à un moratoire sur les
programmes et interpelle les politiques sur ce sujet.
Et des politiques, il y en avait sur l’estrade, comme Karine Berger,
économiste et membre du Parti Socialiste. Sa tentative de convaincre
l’auditoire que les dirigeants politiques avaient encore le pouvoir et que les
économistes n’avaient pas autant d’influence qu’on voulait bien leur accorder, ne
convainquit pas grand monde. En revanche, son analyse de la situation fut
beaucoup plus pertinente lorsqu’ elle fit remarquer que, autant les
économistes de gauche se revendiquent ouvertement de gauche, autant ceux de droite ne s’affichent pas comme tel.
Or, si l’on considère comme rappelé plus haut, que les opinions des économistes
influencent largement leurs choix, il est indispensable de savoir en toute
transparence, dans quel cadre ils s’expriment. A plus forte raison si l’on
considère, avec Liêm Hoang-Ngoc (on se demande ce qu’un type comme lui fait
encore au Parti Socialiste), que le débat économique est la poursuite du débat
politique.
Le dernier à s’exprimer fut Jacques Généreux, conseiller économique du
Front de gauche. Relativisant la notion de pensée unique, il préfère parler
d’hégémonie intellectuelle et souligne que face à la bêtise ambiante qui
caractérise notre époque, il est indispensable de faire renaitre une pensée
critique. Reconnaissant que personne n’est indépendant, il fait appel à
l’honnêteté intellectuelle qui devrait permettre de résoudre une problématique
qui, selon lui, se pose aussi bien pour
les journalistes, par exemple, que pour les économistes. Mais cela passe par la
fin de l’ostracisme subit par les économistes engagés politiquement. C’est
ainsi que Généreux dénonce le fait que, sous prétexte qu’il est un militant
politique, les Economistes Atterrés (dignement représentés par Orléan) lui
refusent le droit de s’exprimer ou que,
toujours pour les mêmes raisons selon lui, les critiques littéraires
d’Alternatives Economiques de ses ouvrages soient devenues beaucoup plus
mauvaises. Piqué au vif, Chavagneux lui rétorqua que son journal continuerait à
dire qu’il écrit des conneries quand ils pensent que c’est le cas.
La solution au problème de la mainmise de la finance sur la pensée
économique passe donc par plus de transparence dans les motivations profondes
de ceux qui s’expriment, puisque ces motivations permettent en partie
d’expliquer certains choix et certaines orientations. Le propos de Samuelson et
Nordhaus reste plus que jamais d’actualité : « En économie, ce que
les gens voient dépend des lunettes théoriques qu’ils portent. » Et le
choix de ces lunettes dépend d’opinions politiques et d’intérêts économiques
bien compris. Ils doivent être clairement affichés.