Pourra-t-on un jour débattre sereinement de la création monétaire ?
Par RST le lundi, 26 mars 2012, 19:05 - Monnaie - Lien permanent
Etrange journée en vérité que cette journée
consacrée à la monnaie, proposée par les Economistes Atterrés. Je ne m’attendais
pas nécessairement au pire – mais on l’a eu – et j’espérais le meilleur, qui
n’a été en définitive qu’entraperçu. Le pire donc, fut incarné par Henri Sterdyniak
dont les bouffonneries ont engendré quelques sourires mais dont l’attitude générale fut, selon moi, indigne des espérances que l’on pouvait
légitimement tirer de la présence simultanée dans un même lieu de tant
d’esprits éclairés. Le Directeur du Département économie de la mondialisation
de l'OFCE a clairement abusé de son rôle de maitre de cérémonie pour
ridiculiser d’entrée de jeu, toutes les thèses qui n’étaient pas en accord avec
ce qu’il estime être la vérité en
économie. Haro donc sur les malheureux qui auront osé présenter des papiers
défendant des "absurdités" reposant par exemple sur la théorie circuitiste ou le 100 % money.
L’un de ceux qui en ont pris pour leur grade fut Gaël Giraud.
Sterdyniak introduisit son article en déclarant d’une manière assez méprisante
qu’il n’y avait tout simplement rien compris. Cela aurait pu me mettre du baume
au cœur n’ayant personnellement pas
réussi à dépasser l’introduction du texte de Giraud. Mais je ne suis pas
polytechnicien et encore moins économiste. On aurait espéré un peu plus de
mesure de la part d’un professionnel comme Sterdyniak. Cela n’empêcha pas
Giraud d’appeler les participants à se concentrer sur ce qui les rassemblait
avec comme objectif de définir les moyens de financer la transition écologique.
Le moins que l’on puisse dire est que cet appel ne fut pas vraiment entendu. Au-delà
des aspects théoriques abordés dans les exposés, ce que je retiendrai du
premier thème sensé être débattu ("La nature de la monnaie, la création
monétaire") c’est qu’il y avait en quelque sorte deux camps. Celui des "gentils" (représenté notamment par
Plihon et Harribey) et … les autres. Gabriel Galand faisait visiblement partie de
celui des autres. Son intervention pour défendre la monnaie à garantie totale
(autrement dit, le 100 % money) s’est
faite sous la pression du chronomètre – étonnamment absent pour certains – et sans
que ne lui soit donné ultérieurement la possibilité de répondre aux questions.
Etrange conception du débat de la part de Sterdyniak qui assumait crânement le fait que c’était lui le
chef. Il trouva néanmoins quelqu’un à qui parler lors du second débat (ayant
théoriquement pour thème "Monnaie et dette publique"). Alain Grandjean
ne s’en laissa en effet pas conter et haussa le ton pour réclamer que l’on
cesse de faire référence à la magie dès que les idées présentées étaient jugées
trop iconoclastes par les gentils animateurs. Il souligna fort opportunément,
qu’alors qu’on lui avait toujours opposé l’impossibilité de faire gonfler le
bilan de la BCE pour rejeter l’idée de financer la transition écologique par
création monétaire, on venait d’y injecter d’un seul coup 1000 milliard
d’euros. Ses arguments avaient la force de l’évidence et lui ont permis
d’affirmer qu’en réalité, de l’argent il y en avait partout, mais qu’il n’avait pas été possible d’imposer
au marché, des signaux prix écologiques. Cela ne suffit visiblement pas, cependant, pour ébranler les convictions de la
bande à Sterdyniak.
La tension baissa légèrement dans l’après-midi. Les débats se firent
plus techniques, préfigurant ce que pourrait être le meilleur, dans ce type
d’évènement. Le troisième thème s’intitulait "Monnaie et crise" et
donna lieu à des interventions intéressantes. André Orléan
s’intéressa au concept de liquidité, absent selon lui de la théorie économique
classique qui n’envisage que le concept de valeur, et source de forte
instabilité pour cause d’absence d’autorégulation. Christophe Blot et Emmanuel
Carré, plus classiquement, présentèrent des analyses du fonctionnement de la BCE et de
la FED et de leurs modes d’interventions dans la gestion de la crise. Enfin, la
journée fut conclue par une réflexion sur les réformes du système bancaire et financier. J’ai été
particulièrement intéressé par l’intervention de Bernard Vallageas qui
développa l’idée que les fonds propres seraient en fait nuisibles aux banques
qui ne sont pas des entreprises comme les autres.
Je n’ai bien entendu pas la prétention de faire ici la synthèse de 8 heures de discussion. Je ne peux que renvoyer à la lecture des contributions. Je voudrais plutôt m’interroger pour conclure, sur les raisons qui font que cette journée laisse un petit arrière-goût d’amertume et de frustration à l’amateur éclairé que j’essaye d’être. Il y a tout d’abord le principe même de ce colloque qui, initialement, devait être réservé aux économistes patentés et qui a été finalement ouvert au grand public. Cela crée inévitablement des décalages entre les attentes des uns et des autres, décalages qui peuvent entrainer une certaine confusion. Il y a ensuite bien évidemment l’objet même du colloque, la monnaie, qui est sans doute l’un des sujets les plus périlleux à traiter notamment à cause de l’absence de consensus sur la définition de ce qu’est la monnaie et les concepts qui s’y rattachent. Il est cependant très étonnant de constater les divergences profondes de compréhension de certains mécanismes monétaires. Il y aussi des phénomènes psychologiques dont la nature m’échappe totalement et qui font, par exemple, que quelqu’un comme Sterdyniak arrive à prétendre en même temps que l’épargne est nécessaire comme préalable à l’investissement et qu’elle ne l’est pas. Comment expliquer une contradiction aussi flagrante dans un cerveau aussi brillant ? Enfin, il y a les arrières pensées politiques. Les principaux animateurs des Economistes Atterrés sont dans leur très grande majorité, membres ou sympathisants d’ATTAC. Or la création monétaire a toujours été un sujet tabou pour l’association altermondialiste comme je l’avais déjà expliqué ici. Il n’est donc pas étonnant que les Economistes Atterrés aient les plus grandes difficultés à aborder sereinement ce sujet.