Dans un premier temps, Cordonnier nous explique les modèles mis en place par la théorie économique pour analyser ce que sont le travail, son offre et sa demande et leur rencontre sur le chimérique "marché du travail". On est frappé à la lecture des premiers chapitres, de constater combien cette modélisation semble éloignée de la réalité vécue par la plupart des salariés. Comme le dit l’auteur, cela vient du fait que "le commun des mortels se fait une idée extrêmement embrouillée de ce qu’est le travail". Heureusement, il y a l’économiste, "ce savant désintéressé, qui possède la souplesse nécessaire pour grimper sur ses propres épaules, et procéder à partir de ce robuste promontoire aux abstractions nécessaires pour saisir le travail comme un concept pur."  

Du travailleur, "individu rationnel", soucieux de "maximiser son bien être" en utilisant au mieux sa "dotation initiale" afin d’"arbitrer" entre l’"utilité" que lui procure la consommation et l’"utilité" que lui procurent les loisirs, au contrat de travail, contrat de "louage de capital" parmi d’autres, nous passons en revue tous les concepts utiles et nécessaires pour être à l’aise sur le fameux marché du travail, construction fondamentale sur lequel repose tout le reste. Car ce marché, il a le pouvoir extraordinaire de réaliser le plein-emploi, l’optimum tant recherché. Seul petit problème : ce marché… il n’existe pas ! Il suffit pour s’en convaincre de considérer les hypothèses retenues, tant techniques (du type décroissance de la productivité marginale des facteurs) qu’institutionnelles (du type information parfaite sur les prix). Mais, comme l’écrit Cordonnier, "puisqu’il faut bien continuer à faire de l’économie (…), oublions tout cela."

Passons donc à la suite qui consiste à démontrer que, pour supprimer les entraves au marché qui rappelons le, n’existe pas, il suffit de supprimer le SMIC et l’ensemble des dispositifs d’assurance et d’assistance aux travailleurs. On ne s’étendra pas ici sur l’inanité de telles conclusions faites à partir d’hypothèses grossières sinon grotesques. Le livre démonte patiemment tout cela en deux chapitres argumentés, expliquant notamment que le problème n’est pas l’existence du SMIC mais bien l’insuffisance de la demande. Continuons plutôt avec la question qui vient naturellement à l’esprit : n’y a-t-il donc eu aucun économiste "pour se rendre compte que le travail n’est pas une carotte, et que le marché du travail ne peut justement pas fonctionner comme le marché des carottes ?" Si, nous dit Cordonnier, il y en a eu. Mais hélas, au lieu de remettre en cause le concept de marché, ils se sont attaqués à la spécificité de la marchandise travail, qui est de ne pouvoir se séparer de celui qui l’accomplit, le travailleur. Et ce dernier – contrairement à l’entreprise qui elle, n’est jamais malhonnête, puisque ce ne serait pas une stratégie optimale pour elle – il est poltron, roublard, paresseux, primesautier et méchant, ce qui explique, vous l’aurez compris, les dysfonctionnements du marché.  C’est ce genre de constatation qui a amené en 1984 quelqu’un comme Stiglitz – reconverti depuis, si je ne m’abuse, en ardent pourfendeur du capitalisme – à écrire que "le taux de chômage doit être suffisamment élevé pour qu’il soit payant pour les travailleurs de travailler plutôt que de prendre le risque d’être pris en train de tirer au flanc" .

C’est ainsi que fut artificiellement démontré le caractère inévitable du chômage qui trouverait son origine notamment dans la nature paresseuse des salariés. Pourtant il n’a pas toujours existé. Doit-on en déduire que la nature humaine varie au gré des cycles économiques ? Cordonnier préfère conclure en expliquant l’utilité de ce mythe du marché du travail pour la classe dirigeante. Il permet en effet de faire abstraction à bon compte d’une réalité moins glorieuse, à savoir la décrue constante du coût du travail dans la valeur produite.  En réalité, le mythe en question et son corollaire le chômage, ont permis une formidable régression de la part des salaires dans le partage de la valeur ajoutée. Et c’est tout l’intérêt de ce livre que d’en faire la démonstration imparable et accessible à tous.