En lisant ce texte, la  première réflexion qui vient à l’esprit est de constater combien, semble-t-il, la décision de refuser la défaite et de continuer à  se battre par tous les moyens, fut naturelle, évidente,… génétique ! Comme Daniel Cordier, dont il fut l’ami, Maurice de Cheveigné est très jeune et ne se pose pas de questions sur les conséquences fâcheuses que sa décision pourrait entraîner pour lui. Toute son énergie est concentrée vers un seul objectif : rejoindre ceux, où qu’ils soient, qui refusent l’armistice et vont continuer le combat. Fuyant la débâcle à travers l’Espagne il rejoindra l’Angleterre et les Français Libres :

"Le major Churchill-Longman voudrait savoir si je désire me joindre aux Anglais ou aux Français. Le flegme, la résolution, la cohérence - et l'humour! - de la nation, font des Britanniques une équipe désirable. Romantique, je me laisse séduire par l'étiquette Français Libre: Français et libre, ça me va."

Il croise De Gaulle qui  lui dira, ainsi qu’à ses deux compagnons arrivés le même jour : "C'est bien d'être venu, vous avez fait votre devoir". Après plus de 16 mois d’instruction à Londres, il sera parachuté en France en tant que radio, activité dans laquelle il excellera :

 "Il faut que le trafic passe. Il passe. Depuis l'âge de seize ans, radio-amateur, je pourchasse les signaux rares et lointains sur des postes de ma fabrication. J'aime ce jeu qui allie l'acuité de l'ouïe à la subtilité technique, et lorsqu'en face de moi se trouve un opérateur de haut vol pour capter les quelques microvolts que je lui lance, écouler les télégrammes est un plaisir: satisfaction du travail bien fait, plus celle de David qui fait un pied de nez au Goliath Chleuh."

La deuxième constante qui revient souvent chez ceux qui ont vécu la Résistance c’est, malgré le danger, un certain bonheur de vivre, d’apprécier ces moments forts où les valeurs importantes, celles qui comptent sont notamment l’amitié et la confiance :

"Dans ce petit groupe plein d'affection, je découvre le bonheur des choses partagées: amitié, confiance, humour, danger, la lutte côte à côte vers un but commun, but si désirable que nous sommes prêts à y risquer notre peau - mais à vrai dire, nous sommes tellement sûrs d'être les meilleurs, les plus forts, que cette éventualité nous semble improbable.... Extraordinaire symbiose de l'esprit qui donnait au groupe l'impression de n'être qu'un seul être, les qualités de chacun multipliant celles des autres!"

Comme Daniel Cordier dans son livre "Alias Caracalla", Maurice de Cheveigné nous fait découvrir de l’intérieur la réalité quotidienne de la Résistance, bien loin de l’image exaltée que l’on peut en avoir, remplie de tâches routinières, de difficultés administratives et de conflits internes. Son caractère que lui-même qualifie de "sale", ne le prédispose pas franchement à faire preuve de diplomatie lorsqu’on lui demande de faire des rapports de retour de mission :

"Je m'étais attendu à retrouver des amis, à un peu de gentillesse, d'appréciation de mon travail, et voilà que je suis aux prises avec ce dinosaure, l'Administration. Je contemple sans indulgence ces gens, ces paperasses, ces tasses de thé, ces cendriers pleins de mégots. Je viens de passer un an à faire la nique aux Chleuhs, je suis sans doute un des meilleurs radios du service, ça n'est pas le moment de me marcher sur les pieds. J'expose la situation avec franchise, sans excès de patience "

Et puis après vingt mois de clandestinité, l’arrestation :

"La tête en feu, je reste là, assis, menottes toujours dans le dos, à attendre ce qui sera sans doute bien pis. Fuir l'horreur dans la mort? Il y a belle lurette que j'ai égaré ma pilule létale. L'utiliserais-je, si je l'avais? Sans doute pas encore. J'ai la trouille, mais ça n'est pas encore la panique. Ma cervelle, paralysée lors de mon arrestation, semble tourner à nouveau. Tout de même, j'aimerais bien l'avoir, cette pilule, au cas où il leur viendrait à l'idée que je sais quelque chose que je ne sais pas...",

la torture :

" (…)j'ai le corps figé de douleur (…)L'angoisse est remplacée par une certitude: je serai bientôt fusillé. L'idée ne me cause pas de gêne particulière. La chose est tellement évidente. Depuis toujours je lis des histoires de guerre: on y meurt beaucoup."

les camps de concentration:

"J'ai faim. La tentation est grande de se laisser aller. Mais j'ai compris que je ne survivrai qu'en restant maître de moi. Tout ici est conçu, orienté, pour vous convaincre de votre inexistence, pour démontrer que votre importance est nulle, moindre que celle des briques que vous maniez. Il faut sans cesse se prouver le contraire. C'est moi qui décide des limites que je ne franchirai pas: je ne fouillerai pas les poubelles et je ne vendrai pas mon cul. Et si je dois mourir, je voudrais échapper à ces ordures nazies, et que ce soit de ma main."

et la culpabilité d’avoir survécu à ses camarades morts en détention :

"Je suis aussi allé voir les parents de CYPRIEN, René Bigot. Comment leur dire ce que c'était...? Ajouter à leur peine la description de l'horreur absolue de cette manière de mourir... L'injustice criante d'être vivant devant eux... Pourquoi lui, pourquoi moi...? Je n'ai pas eu le courage, la force, d'aller les revoir. J'en pleure de rage et de chagrin encore aujourd'hui en écrivant ceci."

 Je ne sais toujours pas ce qui fait que l’on choisit d’être un héros plutôt qu’un salaud !