La théorie quantitative de la monnaie
Par RST le lundi, 22 février 2010, 18:55 - Citation - Lien permanent
C’est grâce à NiCo, que je remercie, que j’ai découvert le livre intitulé "La pensée monétaire – Histoire et analyse" de Jérôme de Boyer, en accès libre et gratuit ici, dont il avait posté la référence en commentaire. Je ne l’ai pas encore fini mais j’ai trouvé dans la conclusion une définition que je trouve très pertinente de la théorie quantitative de la monnaie. L’auteur y dénonce ce qu’il appelle la mystification de la neutralité de la monnaie et de la politique monétaire, véhiculée par la théorie quantitative, et confirme que de nombreux économistes ont encore du mal à considérer la monnaie comme une variable essentielle. L’Eco(dé)mystificateur ne pouvait pas faire moins que de reproduire ici un extrait de cette conclusion.
Bien qu'il existe, nous l'avons vu, une grande diversité des approches de la monnaie, on peut néanmoins distinguer deux traditions dans la pensée monétaire. L'une associe la monnaie à l'échange, à la détermination des quantités et des prix, à la formation et à la répartition du revenu, au crédit, au taux d'intérêt, aux risques bancaires, à la finance ; selon cette tradition, on ne pense pas l'économie sans la monnaie. L'autre tradition cantonne la monnaie à une fonction circulatoire qu'elle exerce dans les transactions ; on y postule la dichotomie entre les lois de la circulation monétaire et celles de l'économie "réelle". La théorie quantitative de la monnaie, et son corollaire la neutralité de la monnaie, renvoie à cette seconde tradition.
La théorie quantitative de la monnaie rétrécit le champ de l'analyse monétaire, mais elle est en phase avec la conception dichotomique qui imprègne la pensée économique depuis le dix-huitième siècle : les lois de l'échange, de la production et de la répartition sont réelles, indépendantes de la monnaie. Cette vision est apparue en réaction au mercantilisme et aux innovations monétaires dont on craignait qu'elles conduisent à la catastrophe, à l'image du système de John Law. Conduites par le politique, celles-ci sont perçues comme dangereuses ; de surcroît inutiles car, pour répondre aux besoins des agents, la valeur de la monnaie s'adapte à sa quantité. C'est sur cette base que s'est forgée la tradition quantitativiste qui a tant fasciné les économistes ; et qui les fascine encore malgré le fait que ni les ricardiens, ni les monétaristes n'aient réussi à démontrer valablement cette théorie, à intégrer cette vision de la monnaie à leur théorie du marché ! Les conséquences ne sont pas négligeables. De façon arbitraire, on soutient que la politique monétaire doit suivre des règles strictes, rigides, à l'exclusion de toute action discrétionnaire avec pour seul objectif le niveau des prix ; on prétend que l'emploi, la répartition du revenu ou l'état des marchés financiers n'en sont pas des objectifs, on utilise des agrégats monétaires non pertinents pour mener cette politique ; on dissocie la monnaie du crédit, la politique monétaire de la politique bancaire, on soutient que la banque centrale doit être indépendante, qu'elle l'est, qu'il faut en confier la gestion à des individus conservateurs ; on ignore les dangers d'un "currency board", on prône la dollarisation, on soutient que les thérapies imposées par le FMI aux pays contraints d'avoir recours à ses crédits sont les seules possibles, etc ... Bien que mal fondée, la théorie quantitative n'hésite pas à être normative, ce qui n'est pas neutre. La neutralité de la monnaie et de la politique monétaire est une mystification véhiculée par la théorie quantitative de la monnaie. Pour penser la monnaie, il faut s'affranchir de cette vision quantitativiste. C'est une difficulté pour l'économiste car il est formé à penser les catégories "réelles" indépendamment de la monnaie.