Henri Sterdyniak a présenté les causes de la crise dans la zone euro. Benjamin Coriat a enchainé avec une comparaison des crises jumelles Islandaise et Irlandaise. Frédéric Lordon nous a ensuite parlé des réformes en cours et du pacte pour l’euro avant que Thomas Coutrot ne conclue avec les propositions. Philippe Askenazy a pris la parole en dernier pour introduire les échanges avec la salle. Je n’ai pas vraiment compris où il voulait en venir, sinon s’assurer que le cadre européen était solidement fixé et ne bougerait pas. Selon lui, l’Europe a des valeurs communes telles que, par exemple, l’allergie aux inégalités. Il considère visiblement cela comme un axiome qui donc, par définition, ne demande aucune démonstration et ne peut être remis en cause. Je vais relire Emmanuel Todd – et Askenazy ferait bien d’en faire autant – mais il semble me souvenir que son analyse des différents types familiaux rencontrés en Europe ne plaide pas, c’est le moins qu’on puisse dire, en faveur d’une allergie commune des européens aux inégalités ! 

Je ne m’étendrai pas ici sur les premières interventions qui n’ont fait que répéter ce qui, me semble-t-il est maintenant acquis. Au niveau des propositions, rien de bien nouveau non plus, puisque l’on a parlé aussi bien de remettre en cause l’interdiction du financement direct des Etats par les banques centrales que de désarmer la spéculation financière, toutes choses qui font l’unanimité et qui ont mon assentiment. L’unanimité ne se fait pas par contre sur savoir si l’on doit ou pas, restructurer les dettes et sur la notion de croissance que certains imaginent verte. Autant de points qui font débat mais qui n’ont pas été développés.

Mais revenons sur ce qui, hélas ne fait pas débat chez les Atterrés, à tel point que lorsqu’on leur pose, comme je l’ai fait, une question sur le sujet, on a, l’espace d’un instant, la désagréable impression d’avoir dit des gros mots. Ce qui ne fait pas débat c’est qu’il faut, selon les propos même de Thomas Coutrot, une gouvernance économique européenne. Et quand on lui demande où est le gouvernement européen pour mettre en place cette gouvernance, il a cette réponse proprement hallucinante : la commission européenne, tout en reconnaissant dans le même souffle, comme si il s’en souvenait soudainement, qu’elle n’a aucune légitimité. Comme l’a fait remarquer justement un intervenant dans la salle, les Atterrés font exactement ce qu’ils reprochent aux libéraux. Ces derniers nous disent que le libéralisme n’a pas marché parce que le système n’a pas été assez libéralisé. Les Atterrés nous disent que l’Europe ne marche pas parce qu’il n’y a pas assez d’Europe ! Mais le meilleur résumé de la situation a été fait par Gabriel Galand dans un commentaire publié sur le site des Atterrés : « Pour rester sur le fond, les mesures préconisées sont idéalement pertinentes sur le papier, mais la politique est l'art du possible, et qui chez les économistes atterrés peut encore croire à une coordination possible de l'Europe, sinon sur des bases disciplinaires germaniques ? Il paraît plus probable que l'Europe ne bougera pas dans le bon sens sans mesures unilatérales au niveau d'un ou plusieurs pays. Au lieu d'attendre l'éclatement, qui arrivera forcément tôt ou tard si on laisse aller, il vaudrait mieux proposer des mesures unilatérales françaises pour négocier avec l'Europe en position de force (par exemple des barrières commerciales aux frontières, mais c'est à discuter).Un peu de réalisme s'il vous plaît ».

Et si nos amis atterrés décident enfin, soudainement convertis par la logique implacable des paroles de Gabriel, d’en faire preuve, d’un peu de réalisme, peut-être m’expliqueront-ils pourquoi font-ils "un tour de France pour une autre Europe" alors que la logique voudrait qu’ils fassent "un tour d’Europe pour une autre Europe" ? Ne serait-ce pas, par hasard, parce que l’Europe telle qu’ils la fantasment n’existe pas ?