De Margerie et Fillon sont sur un bateau …en toute sécurité ?
Par RST le mercredi, 6 avril 2011, 20:00 - Divers - Lien permanent
Je me suis longtemps demandé ce qui motivait réellement les multinationales – du secteur pétrolier, celles que je connais le mieux – à prendre tant de soin de la santé et de la sécurité de leurs employés. Ce que l’on désigne sous l’acronyme "HSE" pour Hygiène, Sécurité et Environnement est devenu une priorité majeure qui mobilise tout le management et qui donne lieu à un nombre incalculable de séminaires, formations et autres grands-messes. Plus une réunion ne peut avoir lieu sans débuter par la sacro-sainte "Minute sécurité". Du plus bas de l’échelle jusqu’au sommet de la direction, chacun voit au moins un de ses objectifs annuels spécifiquement consacré au HSE. Des départements spécialisés se consacrent à imaginer, mettre en place et suivre les critères permettant de mesurer les performances dans ce domaine. Il ne se passe pas une journée sans que l’on soit d’une manière ou d’une autre, sensibilisé à ces problématiques. Mais quelles sont les véritables motivations cachées derrière ce qui peut apparaître comme une véritable obsession ?
J’ai, je l’avoue, du mal à pencher pour l’hypothèse de la pure philanthropie, de la simple recherche du bien être des individus. Si tel était le cas, il y a bien d’autres sujets dont devraient s’emparer sérieusement les entreprises, à commencer par le stress au travail par exemple, ou plus simplement les niveaux de salaire. On m’a expliqué qu’en fait les accidents coûtaient très chers, tant en termes pécuniaires qu’en terme d’image. Je veux bien le croire pour les événements majeurs heureusement peu nombreux. Mais quel rapport entre la façon dont je me comporte dans les escaliers et les accidents mortels dans une raffinerie en construction au Moyen Orient ? Cela justifie-t-il des pratiques HSE intrusives qui prétendent s’occuper de nos vies personnelles, en nous rappelant par exemple, que boire ou conduire, il faut choisir ? Faut-il vraiment que je perdre mon temps à écouter un représentant d’une grande compagnie pétrolière américaine m’expliquer la nécessité d’avoir un plan d’évacuation dans mon appartement en cas d’incendie ?
C’est en lisant le dernier ouvrage de Frédéric Lordon, "Capitalisme, désir et servitude", que je me suis demandé si je ne tenais pas une partie de la réponse à ma question. L’objet réel de toute cette frénésie ne serait-il pas, sous des prétextes très moralement acceptables – qui peut raisonnablement souhaiter qu’il y ait des accidents et donc qui refuserait de s’impliquer dans le HSE ? – de nous imposer nos désirs ? Ne serait-ce pas une manière détournée de réduire la fameuse dérive α qui mesure, selon Lordon, l’écart d’alignement entre nos désirs personnels et ceux de l’entreprise ? N’y aurait-il pas là quelque chose de l’ordre de la "fixation" telle que définie par Lordon ? Afin d’éviter que nous ayons trop de temps pour penser et éventuellement nous rebeller, il faut faire en sorte que toute notre attention non utilisée dans notre activité professionnelle soit focalisée sur un domaine maitrisé et facilement contrôlable par l’entreprise. C’est l’enrôlement total, objectif ultime de tout système totalitaire.
Je ne sais pas si ma théorie est
valable. Ce qui est clair cependant c’est que les contraintes HSE ne
s’appliquent pas à tous de la même façon comme on pourra le constater sur la
photo ci-dessous.
Elle a été prise en mai 2009 à bord d’une raffinerie flottante ancrée aux larges des côtes du Nigéria. HSE oblige, le port du casque est obligatoire sur une unité en opération. Ce sont les règles de TOTAL qui le disent. Ce qu’elles ne disent pas, c’est que cela est vrai pour tout le monde sans exception … ou presque ! Ceux qui sont déjà "alignés" peuvent visiblement s’en affranchir. Ils ne craignent plus rien, pas même que le ciel leur tombe sur la tête !