J'ai rencontré François Mitterrand pour la première fois en 1943 1 et je ne cesserai plus, tout au long de ma vie politique, de croiser son chemin. Jamais nos parcours ne se sont rencontrés. Nous étions, certes, tous deux à I'UDSR mais ce petit parti, qui faisait et défaisait les gouvernements, était une mosaïque de sensibilités où de fortes personnalités, très diverses, s'exprimaient. Cette Union n'avait rien d'un mouvement monolithique. On a parlé de travaillisme à propos de ce parti charnière, c'était en tout cas la coloration que nous aurions voulu lui apporter à sa création. Des gaullistes de stricte observance tels que Soustelle, Capitant, moi-même et d'autres, cohabitaient avec les catholiques de gauche de Jeune République (Claudius-Petit, Antoine Avinin, Pleven...) et des indépendants comme Mitterrand. Le Mitterrand de ces années -là n'était guère diffèrent de celui qui, plus tard, et de plus en plus, hantera la vie politique. Son charme, son ambition démesurée, l'ambiguïté qui planait au sujet de son rôle sous l'Occupation, ses amitiés contradictoires (le sinistre chef de la police de Vichy, Bousquet; Maurice Couve de Murville ; Jeantet, le cagoulard collaborateur), son intelligence gêneraient des sentiments antagonistes d'où était absente l'indifférence. On le haïssait, on le méprisait ou on l'admirait. Quant à moi, je regardais le parcours de ce Rastignac charentais sans une once de jalousie. Nous n'étions pas de la même eau. Mitterrand, à moins de trente ans, avait déjà les qualités, les défauts et même les vices de la «bête politique ». II aimait les femmes, le pouvoir, les amitiés douteuses et peut-être la France. Tous le lui ont bien rendu... Son antigaullisme fut sans doute sa seule fidélité. II est l'un des rares hommes politiques de cette génération, outre les communistes, à avoir démenti l'adage du General selon lequel « tout le monde est, a été ou sera gaulliste ».

Extrait de "De Gaulle, l’exil intérieur" par Jacques Baumel