La meilleure façon de s’en convaincre, de cette impossibilité, est de considérer le cas extrême décrit par Jacques Baumel dans son livre" Résister, Histoire secrète des années d'occupation". L’auteur nous explique que malgré le contexte tragique de cette période de la Résistance, où les acteurs risquaient leur vie, la lutte pour les positions n’était pas moins féroce qu’en temps normal. La menace du danger, contrairement à ce que l’on pourrait croire, ne rendait pas les gens plus raisonnables et ne permettait pas que l’objectif commun, libérer la France, fasse passer au second plan les ambitions personnelles. Jean Moulin en est mort.

"Enfin, je ne crois pas que ce soit insulter la Résistance – en tout cas, je n’insulterai pas la vérité – que de dire que les querelles les plus venimeuses entre nos trois mouvements, ou entre nous et le Délégué général, surgissaient souvent à propos de questions de nominations individuelles. Disons que nous faisions preuve là d’un comportement ordinaire, dans des circonstances où l’on aurait pu rêver d’un comportement un peu différent. Un observateur cynique aurait pu dire que la question des nominations à tel ou à tel poste occupait beaucoup de notre temps et de nos esprits, comme c’est le cas en politique. J’aurai amplement, dans ma carrière ultérieure, l’occasion de constater que, dès qu’il est question d’élire les trois secrétaires d’un groupe parlementaire, les cent quatre-vingt députés de ce groupe sont présents. Les rangs sont beaucoup plus clairsemés quand il s’agit d’écouter le compte rendu du rapporteur sur le traité de Maastricht. Caluire, bien malheureusement, ce serait aussi cela. Moulin en mourrait, lui qui avait effectivement tenté de prévenir cette dérive, en appuyant ou en créant de toutes pièces, en dehors des mouvements, des organismes spéciaux qui avaient essentiellement pour tâche de préparer la relève de l’après-Libération."