Au commencement était l'Union monétaire latine
Par RST le samedi, 6 novembre 2010, 14:21 - Monnaie - Lien permanent
Comme le précise Wikipédia, l’Union
latine a été constituée par une Convention monétaire du 23 décembre 1865,
unissant initialement cinq pays signataires européens (France, Belgique,
Italie, Suisse et Luxembourg). L’objet de ce traité était d’instituer une
organisation monétaire commune fondée sur le régime de bimétallisme or-argent.
L’Union fut, de facto, dissoute le 1er janvier 1927.
C’est au hasard de mes
pérégrinations sur Internet que j’ai découvert très récemment avec un certain
étonnement je l’avoue, au détour d’un commentaire sur je ne sais plus quel
blog, l’existence de ce que l’on peut considérer, d’une certaine manière, comme
l’ancêtre de l’Union monétaire européenne. Mais y-a-t il vraiment un lien de
parenté entre ces deux systèmes ? Et peut-on tirer, de cette expérience
passée, des leçons utiles à celle en cours ? Questions très ambitieuses
auxquelles je vais essayer d’apporter des éléments de réponse en fonction de ce
que j’ai récemment pu comprendre.
Rappelons d’abord qu’à l’origine, comme l’écrit Louis-Albert Dubois en introduction de sa thèse "La fin de l’union monétaire latine" publiée en 1950 – qui a très largement inspiré ce billet –, cette Union eut pour cause les fluctuations du marché des métaux précieux (créées notamment par la découverte et la mise en exploitation des mines d'or de Californie et d'Australie et aussi par la guerre Sécession) qui vinrent troubler la circulation monétaire de l’Europe occidentale.
" Le but pratique de l’Union était le rétablissement de l'intercirculation des monnaies divisionnaires d'argent (…) puis l'uniformisation des poids, mesures et monnaies. L'Union était considérée comme un premier pas vers l’unification universelle des monnaies."
Dubois distingue trois principes
fondamentaux qui ont présidé au fonctionnement de l’Union : le bimétallisme,
l’intercirculation et l’union ouverte. On ne s’étendra pas ici en détail sur
ces principes qui demandent un peu de concentration pour en saisir toutes les
subtilités liées notamment aux caractéristiques du bimétallisme et à
l’existence de monnaies nationales ayant « cours légal »,
« cours officiel » ou encore « cours officiel étendu aux banques
d’émission » dans les pays membres. Je préfère insister sur les points qui
peuvent avoir une certaine résonance avec la situation actuelle ou qui s’en
distinguent très nettement.
Il apparaît rapidement que les
deux systèmes ont en réalité très peu de choses en commun. Ainsi, notre thésard
souligne-t-il que l’histoire de l’Union fut l’histoire des variations des
valeurs des métaux précieux et des cours des changes. Ces deux aspects
fondamentaux dans l’Union latine ont disparu dans l’Union Européenne actuelle
et l’on ne peut que s’en réjouir. Mais il est un aspect qui n’a pas échappé à
Dubois c’est que, malgré l'existence de l’Union, les monnaies des Etats membres
conservèrent leur propre destinée, liée à leur situation économique générale.
Et cela, visiblement, les concepteurs de l’actuelle union l’ont oublié,
feignant de croire qu’une monnaie unique était viable dans des pays aux
situations économiques très différentes. Funeste erreur.
On se rend compte à la lecture de
la thèse de Dubois que les événements, et notamment la guerre de 1914, finirent
par avoir raison des règles imposées par la Convention monétaire, que certains
d’ailleurs, comme le professeur Janssen, jugeaient contre nature en expliquant
qu’ "en matière monétaire il
est bien difficile, de réagir par des textes légaux contre la force des choses"
Et Dubois de rajouter que "Ce
jugement a pour nous la valeur d'une loi économique." Les similitudes
sont assez évidentes ici avec les contraintes imposées par les traités
européens (niveau d’inflation, de déficit, …) sur la base de critères
arbitraires qui volent en éclat à la première crise mais qui ont néanmoins pour
conséquences d’imposer un carcan législatif qui ne fait qu’empirer la
situation. D’autres aspects du fonctionnement de l’Union font écho à la situation
actuelle. Ainsi la Suisse fut-elle accusée de « parasitisme
monétaire ». On pense aujourd’hui à l’Allemagne qualifiée par certains de
« passager clandestin ». La question de la remise en cause de la
Convention se posa aussi et fut l’objet de débats entre ceux qui pensaient, en
accord avec le code civil français, qu’ "On doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune
intention des parties plutôt que de
s'arrêter au sens littéral des termes" et ceux qui maintenaient
qu’en matière de traités internationaux, c'est toujours la lettre qui a fait
loi et non l'esprit.
Il y aurait encore beaucoup de choses à dire, peut-être à l’occasion d’autres articles, tant cette thèse est riche d’information sur les systèmes monétaires de l’époque et leurs évolutions. Si il est clair qu’à la question du lien de parenté entre les deux systèmes, on peut répondre par la négative, il est aussi évident que les leçons à tirer de l’expérience passée sont nombreuses et … ignorées, comme le montrent ces quelques citations qui n’ont visiblement pas été prises en compte par nos dirigeants :
Cela a été écrit en 1930 !" L'expérience nous a instruits: s'il est un domaine dans lequel les conventions internationales sont non seulement inutiles mais encore inséparables de gros inconvénients au point de vue économique, c’est incontestablement celui de la législation monétaire"
Et plus loin :
Visiblement, cela n’a pas assez été répété !"L'unification politique, répète-t~on, doit précéder l'unification monétaire."