Quand les charlots montent au front pour sauver le soldat Charlie
Par RST le samedi, 16 mai 2015, 20:06 - Polémique - Lien permanent
Je ne sais pas dans quelle mesure Emmanuel Todd s’attendait aux réactions qu’a déclenchées son dernier livre, « Qui est Charlie ? ». Ce que je sais par contre c’est que son éditeur et lui-même ne peuvent que s’en féliciter puisque elles lui assurent une promotion d’une efficacité redoutable. D’autres par contre ne peuvent qu’être ulcérés par ce qu’ils ont lu et entendu. Tous ceux qui, comme moi, espéraient naïvement qu’un vrai débat aurait enfin lieu avec, pourquoi pas, beaucoup de passion, mais un minimum d’argumentation de la part d’intervenants ayant, et on s’étonne de devoir le préciser, au moins lu le livre. Or que constatons nous ? Un déferlement d’attaques ad hominem portées notamment par un premier ministre – qui, à sa décharge, se fait proprement allumé dans le livre – et des chroniqueurs dont certains, à l’instar de Patrick Pelloux, revendiquent même le fait de n’avoir pas lu l’ouvrage. Charlie défendu par des charlots : n’est-ce pas là un résumé saisissant caractérisant l’état de décrépitude complet de l’époque dans laquelle nous vivons ? Et l’outrance des réactions ne vient-elle pas en partie du fait que l’anthropologue a visé juste ?
Mais que contient donc ce livre pour susciter de telles réactions sur lesquelles nous allons revenir ? Beaucoup de choses dont certaines, bien ébouriffantes, et que je n’ai pas l’intention de répertorier ici – ce serait trop long – mais qui visent toutes à remettre en cause les bonnes intentions qui auraient présidé à la mobilisation massive suite aux évènements de janvier dernier. La thèse centrale me parait assez bien résumée par ce passage : « Le choc provoqué par l’horreur des attentats du 7 janvier a pris la France par surprise et permis la libération de tendances instinctives jusque-là refoulées. Elle a mis en évidence le début d’un glissement des classes moyennes vers un inégalitarisme explicite, incluant la désignation d’un bouc émissaire ». On peut ne pas être d’accord avec cette analyse ; on peut de même ne pas souscrire à l’idée de substitution de la monnaie unique au Dieu unique, comme on peut ne pas adhérer au concept anthropologique de « déterminations inconscientes des groupes et des individus qui les constituent »; on peut aussi rejeter l’explication selon laquelle les manifestants ont défendu le droit au blasphème plutôt que la liberté d’expression et on peut vigoureusement réfuter que non, même transformée, la culture arabe et musulmane ne contribuera pas au rétablissement d’un véritable républicanisme en France; on peut faire tout ça et se fendre d’une explication mais on est pas obligé pour autant de devenir complétement con, ou tout au moins borné – si l’on veut rester poli – comme les individus dont je rapporte les prises de positions ci-après.
Commençons par Jean Daniel,
qui a tenu « à
être le premier à répondre au démographe Emmanuel Todd», ambition aussi puérile qu’inutile. C’est
néanmoins le seul défi que le fondateur du Nouvel Observateur semble capable de
relever puisqu’il ne propose aucune contre argumentation aux démonstrations de
Todd. Plutôt que de jouer les pucelles effarouchées par une mise en accusation
de la gauche qu’il juge intolérable, on aurait préféré qu’il nous explique en
quoi Todd se trompe lorsqu’il écrit par exemple que « la gauche française est également pénétrée aujourd’hui d’un substrat
différentialiste inconscient qui ne tient pas tellement à ce que les enfants
d’Arabes, de noirs et de juifs deviennent des citoyens comme les autres ».
Mais c’est surement plus compliqué que de faire référence à la Fête de la
Fédération du 14 juillet 1790 !
Continuons ensuite avec un
texte hallucinant de malhonnêteté intellectuelle. Dans Challenge.fr, Nicolas Domenach et
Maurice Szafran affirment
d’entrée de jeu qu’il leur paraissait,
« avec d'autres, et notamment
des historiens de renom, des scientifiques de tous bords », « indécent de ne pas réfuter dans le détail la
démonstration pseudo scientifique de Todd ». Remarquons le besoin de
faire appel aux arguments d’autorité en appelant à la rescousse, des « historiens de renom », et « des scientifiques de tous bords »,
dont on ne connaitra jamais les noms, soit dit en passant, suivi immédiatement
par le besoin de disqualifier l’adversaire. Le décor est planté. Quant à la « réfutation » promise et « dans le détail » s‘il vous plait,
il y en a point. A la place, nous avons affaire à une défense outrancière des
positions exprimées par Valls, défense qui se prétend une critique du livre de
Todd. Ce confusionnisme indigne permet à nos deux matamores d’insulter
copieusement l’auteur avec une rare violence et de finir en beauté avec ce qui
est devenu maintenant un grand classique de la gauche, à savoir l’accusation à
peine voilée de fascisme au prétexte que Florian Philippot aurait aimé le
bouquin. On atteint ici le sublime dans l’ignominie.
Terminons – rapidement –
avec Joseph Macé-Scaron, plagiaire patenté, que l’on soupçonnerait d’avoir
utilisé comme nègre l’un des deux comiques précédents, tant son texte publié dans Marianne repose sur les mêmes procédés infâmes que
ceux qu’ils ont utilisés mais en pire, serait-on tenté d’écrire. Au moins,
Domenach et Safran n’avaient pas la prétention – du moins on l’espère pour eux
– de produire un chef d’œuvre littéraire. Macé-Scaron lui se prend visiblement
pour un grand écrivain et sa paraphrase permanente des propos de Todd qu’il
tient pour argumentation propre – on ne se refait pas – s’accompagne de jeux de
mots qu’il croit bons – « notre
anthropologue qui se croit disciple de Fernand Braudel quand il n'est que
l'élève de Fernandel » – alors qu’ils ne sont qu’à son image :
minables.La seule chose à retenir du
texte de Macé-Scaron c’est l’absence d’argumentation poussée à son paroxysme.
Aucun des charlots cité ci-dessus n’a fait l’effort de proposer le moindre début de commencement d’argument pour contredire les théories de Todd bâties sur des statistiques et des cartes. Charlie a de bien piètres défenseurs. Et pourtant, on aimerait bien que Todd ait tort et que cela soit clairement démontré. Car si il a raison et qu’on ne l’écoute pas nous risquons le pire : « nous sommes en France, en 2015, entrainés par la montée de sentiments islamophobes et antisémites, et nous ne pouvons nous permettre d’attendre d’être «sûrs » que le néo-républicanisme soit un néo-vichysme pour proclamer la validité de cette proposition, tout simplement parce que, si nous venions à en être sûrs un jour, il serait probablement trop tard »