Mais que contient donc ce livre pour susciter de telles réactions sur lesquelles nous allons revenir ? Beaucoup de choses dont certaines, bien ébouriffantes, et que je n’ai pas l’intention de répertorier ici – ce serait trop long – mais qui visent toutes à remettre en cause les bonnes intentions qui auraient présidé à la mobilisation massive suite aux évènements de janvier dernier. La thèse centrale me parait assez bien résumée par ce passage : « Le choc provoqué par l’horreur des attentats du 7 janvier a pris la France par surprise et permis la libération de tendances instinctives jusque-là refoulées. Elle a mis en évidence le début d’un glissement des classes moyennes vers un inégalitarisme explicite, incluant la désignation d’un bouc émissaire ». On peut ne pas être d’accord avec cette analyse ; on peut de même ne pas souscrire à l’idée de substitution de la monnaie unique au Dieu unique, comme on peut ne pas adhérer au concept anthropologique de « déterminations inconscientes des groupes et des individus qui les constituent »; on peut aussi rejeter l’explication selon laquelle les manifestants ont défendu le droit au  blasphème plutôt que la liberté d’expression et on peut vigoureusement réfuter que non, même transformée, la culture arabe et musulmane ne contribuera pas au rétablissement d’un véritable républicanisme en France; on peut faire tout ça et se fendre d’une explication mais on est pas obligé pour autant de devenir complétement con, ou tout au moins borné – si l’on veut rester poli – comme les individus dont je rapporte les prises de positions ci-après.

Commençons par Jean Daniel, qui a tenu « à être le premier à répondre au démographe Emmanuel Todd», ambition aussi puérile qu’inutile. C’est néanmoins le seul défi que le fondateur du Nouvel Observateur semble capable de relever puisqu’il ne propose aucune contre argumentation aux démonstrations de Todd. Plutôt que de jouer les pucelles effarouchées par une mise en accusation de la gauche qu’il juge intolérable, on aurait préféré qu’il nous explique en quoi Todd se trompe lorsqu’il écrit par exemple que « la gauche française est également pénétrée aujourd’hui d’un substrat différentialiste inconscient qui ne tient pas tellement à ce que les enfants d’Arabes, de noirs et de juifs deviennent des citoyens comme les autres ». Mais c’est surement plus compliqué que de faire référence à la Fête de la Fédération du 14 juillet 1790 !
Continuons ensuite avec un texte hallucinant de malhonnêteté intellectuelle.
Dans Challenge.fr, Nicolas Domenach et Maurice Szafran affirment d’entrée de jeu qu’il leur paraissait,  « avec d'autres, et notamment des historiens de renom, des scientifiques de tous bords », « indécent de ne pas réfuter dans le détail la démonstration pseudo scientifique de Todd ». Remarquons le besoin de faire appel aux arguments d’autorité en appelant à la rescousse, des « historiens de renom », et « des scientifiques de tous bords », dont on ne connaitra jamais les noms, soit dit en passant, suivi immédiatement par le besoin de disqualifier l’adversaire. Le décor est planté. Quant à la « réfutation » promise et « dans le détail » s‘il vous plait, il y en a point. A la place, nous avons affaire à une défense outrancière des positions exprimées par Valls, défense qui se prétend une critique du livre de Todd. Ce confusionnisme indigne permet à nos deux matamores d’insulter copieusement l’auteur avec une rare violence et de finir en beauté avec ce qui est devenu maintenant un grand classique de la gauche, à savoir l’accusation à peine voilée de fascisme au prétexte que Florian Philippot aurait aimé le bouquin. On atteint ici le sublime dans l’ignominie.
Terminons – rapidement – avec Joseph Macé-Scaron, plagiaire patenté, que l’on soupçonnerait d’avoir utilisé comme nègre l’un des deux comiques précédents, tant
son texte publié dans Marianne repose sur les mêmes procédés infâmes que ceux qu’ils ont utilisés mais en pire, serait-on tenté d’écrire. Au moins, Domenach et Safran n’avaient pas la prétention – du moins on l’espère pour eux – de produire un chef d’œuvre littéraire. Macé-Scaron lui se prend visiblement pour un grand écrivain et sa paraphrase permanente des propos de Todd qu’il tient pour argumentation propre – on ne se refait pas – s’accompagne de jeux de mots qu’il croit bons – « notre anthropologue qui se croit disciple de Fernand Braudel quand il n'est que l'élève de Fernandel » – alors qu’ils ne sont qu’à son image : minables.La seule chose à retenir du texte de Macé-Scaron c’est l’absence d’argumentation poussée à son paroxysme.

Aucun des charlots cité ci-dessus  n’a fait l’effort de proposer le moindre début de commencement d’argument pour contredire les théories de Todd bâties sur des statistiques et des cartes. Charlie a de bien piètres défenseurs. Et pourtant, on aimerait bien que Todd ait tort et que cela soit clairement démontré. Car si il a raison et qu’on ne l’écoute pas nous risquons le pire : « nous sommes en France, en 2015, entrainés par la montée de sentiments islamophobes et antisémites, et nous ne pouvons nous permettre d’attendre d’être «sûrs » que le néo-républicanisme soit un néo-vichysme pour proclamer la validité de cette proposition, tout simplement parce que, si nous venions à en être sûrs un jour, il serait probablement trop tard »