Dans son ouvrage, G.Geuens démonte donc certains mythes savamment entretenus comme celui  d’un pouvoir financier insaisissable car totalement dispersé dans la mondialisation et qui serait distinct du pouvoir politique. Il dénonce « les représentations convenues de la globalisation et de la crise » qui s’articulent (…) autour d’une poignée d’idées reçues, étroitement liées les unes aux autres, et que l’on pourrait synthétiser en ces termes : disparition des rapports sociaux de domination au profit d’un processus, aussi désincarné que vague et lointain, de "marchandisation" du monde ; réduction du pouvoir financier aux seuls investisseurs institutionnels anglo-saxons ; fétichisme d’Etat ». Il nous montre comment, « forts de leurs positions dans le monde des médias (Libé, Le Nouvel Obs, Le Monde), les jeunes loups du capitalisme à la française sont, désormais, en mesure de faire coup double : dénoncer, à longueur de chroniques et d’interventions ciblées dans la presse les "excès" des marchés financiers débridés, tout en bénéficiant des profits symboliques et, plus encore, matériels associés à leur statut de dirigeants de la haute banque ». Il nous alerte sur la promiscuité entretenue entre les hommes politiques et le monde des affaires surtout chez ceux qui se font les chantres de la défense du bien commun : « Ainsi, lorsque d’éminents représentants du "socialisme de marché" disent vouloir contrôler les banques, peut-être conviendrait-il de prendre très au sérieux leurs propos. Après tout, blairistes strauss-kahniens et rocardiens font preuve d’un sens aigu de la responsabilité pour siéger dans les conseils de surveillance des groupes financiers ». Avec comme conséquence qu’en réalité, « il n’est pas besoin pour les acteurs privés de la banque, de "faire pression" sur les autorités, qui prennent très souvent, d’elles-mêmes, l’initiative d’inviter les représentants du secteur à participer aux décisions qui les concernent au premier titre. » Et quand certains comme D. Strauss-Kahn ou J.Stiglitz dénoncent néanmoins la cupidité des spéculateurs et l’incompétence des managers, ces incantations – comme le souligne l’auteur –, « épousant la forme convenue de l’indignation médiatique – n’ont d’autre fonction que de confesser les manquements élémentaires à la morale, pour mieux faire l’impasse sur le fonctionnement "normal" des institutions, en l’occurrence financières ».  Quant aux réformes envisagées par certains, elles se limitent à « créer de nouveaux instruments de régulation, sans qu’il ne soit jamais, ou presque, question, pour autant d’interroger la nature même des institutions existantes et, en particulier, le profil de leurs dirigeants, issus dans leur immense majorité du privé ou, comme c’est souvent le cas, appelés à le rejoindre. »

Un des grands mérites du livre est de mettre à bas la légende d’un capitalisme américanisé qui interdirait toute action au niveau national. La réalité est bien différente que ce soit en Europe ou « l’importance quantitative et qualitative des mutual funds anglo-saxons est, en réalité, bien moins évidente que ne le laisse entendre le discours sur l’américanisation du vieux continent. Ainsi, seule une poignée de « zinzins » anglo-saxons détiennent des participations réellement significatives au capital des fleurons industriels européens. » ou même en France dont le modèle de gouvernance est caractérisé « par la domination des actionnaires résidents et le rôle significatif, quoique secondaire, qu’y jouent les investisseurs étrangers frontaliers (Belgique, Allemagne, Italie). Quant au contrôle final s’exerçant sur les cent plus grandes firmes françaises, il est tantôt le fait de dynasties familiales (35%), tantôt encore des pouvoirs publics (23%) et des managers de la société (22%), tantôt enfin d’organisations relevant du tiers secteur (11%) »  

Alors certes, la globalisation a cependant une réalité et « les organisations philanthropiques et cercles privés sont de ces institutions dont la fonction essentielle est de favoriser l’accumulation du capital social et d’aider au renforcement du sentiment d’appartenance à la "haute société". C’est bien à l’abri des regards importuns, et dans les salons feutrés des capitales, que se donne le mieux à voir le sens de l’intérêt commun unifiant les grands noms de la finance ». Mais même les organisations non officielles telles que la Commission trilatérale – qui « peut-être légitimement considérée, à l’échelle "globale", comme l’intellectuel collectif des oligarchies nationales » et qui,« aussi importante soit-elle dans la fabrication d’un relatif consensus entre oligarchies nationales et/ou régionales, ne vise qu’à aplanir, sans jamais pouvoir les faire disparaitre, les différends politiques et commerciaux entre blocs et, au sein ce ceux-ci, entre Etats-nations. » – n’empêchent pas que « les lieux de décision, et non de consultation, demeurent la chasse gardée des oligarchies nationales ». Ce qui fait dire à l’auteur, répondant à la question de savoir s’il existe « une classe de capitalistes transnationale unifiée autour d’intérêts similaires sinon identiques », que « l’empire, annoncé par les prophètes du capitalisme pacifié, n’est pas prêt de voir le jour »

Ce que démontre Geoffrey Geuens c’est bien que problème reste local malgré ce que l’on veut nous faire croire. La question du souverainisme prend donc tout son sens, même si c’est n’est pas le sujet du livre. Celui-ci aborde néanmoins en filigrane le combat contre la finance en remarquant que l’une des forces en présence, l’altermondialisme « s’identifie plus, (…) à un radicalisme de classe moyenne, adossé à l’Etat, qu’à l’expression du mécontentement de personnes fortement fragilisées ». Cela pose en définitive la question de savoir quel est le seuil à partir duquel les personnes les plus impactées réagiront ? L’exemple récent de la Grèce n’apporte pas de réponse particulièrement encourageante !