La crise des dettes souveraines en Europe aura eu différents mérites, dont celui de révéler à un large public la dépendance réciproque des États et des banques. Elle résulte, ainsi qu’on l’a vu, de la procédure d’adjudication des emprunts publics qui réserve, depuis près de trente ans, presque partout, leur souscription à des banquiers sélectionnés, les primary dealers ou spécialistes en valeurs du Trésor.

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L’adjudication des emprunts d’État auprès de banques présélectionnées nous fournit une deuxième forte illustration du mélange des rôles. Dans les faits, les banques se substituent aux détenteurs d’épargne, ceux que la théorie classique dénommait les détenteurs de fonds prêtables. Or, si les banques souscrivent les emprunts d’État, c’est de plus en plus avec de l’argent emprunté aux guichets de la banque centrale , jouant ainsi du différentiel d’intérêt entre le prix payé par les États et le taux de financement choisi par la banque centrale. Le gain mathématique qui leur est accordé constitue à l’évidence une rente, mais une rente qui a peu à voir avec la rente de l’épargnant qui accepte de se dessaisir d’argent liquide dans l’espoir d’un gain dans la durée. Les banques jouent une partition opportuniste consistant à apparaître devant les États avec les exigences d’un épargnant alors qu’elles apportent des fonds issus des guichets des banquiers centraux. Ici, l’on a affaire à un mélange des rôles de l’épargnant et de courtier de l’argent créé par la banque centrale. Mélange critiquable, en première analyse, d’un double point de vue,intellectuel et moral, puisque l’engagement des prêteurs se  fait avec l’argent d’autres qu’eux-mêmes dans le but d’un profit mathématique dans l’opération de transmission.