De la réalité historique

(…) le rappel de l’histoire montre à l’évidence que le monde musulman n’est ni plus ni moins prédisposé que d’autres à la violence politique, à la corruption, à la dictature et surtout au terrorisme, dont il faut constater que des musulmans sont les premières et les plus nombreuses victimes 

De leur façon de penser

Je sais que c’est complètement trivial et que cela ressemble à de la psychologie de bazar, mais il faut bien admettre que les peuples du Moyen-Orient et plus généralement du monde arabe ne pensent pas comme nous. Il y a, fortement ancrée dans l’inconscient collectif des peuples sémitiques, une primauté de la parole sur la réalité sensible.(…) Cette primauté du verbe sur la réalité est incompréhensible pour les Occidentaux, qui prennent au pied de la lettre des discours qui ne leur sont pas destinés et qui n’ont souvent pour but que de conjurer  à usage interne, les angoisses, les peurs et les frustrations ou à évacuer les tensions au sein de communautés pour lesquelles un beau discours vengeur vaut mieux que toutes les vengeances. C’est tout le contraire – et c’est inconciliable – avec l’axiome de base de la diplomatie américaine théorisée au début du XXe siècle par le président Théodore Roosevelt : « Parlez doucement et prenez un gros bâton »

De la religion comme prétexte

Pour évoquer le terrorisme islamique, il faut se référer à une période extrêmement récente où les contentieux locaux, les contentieux Est-Ouest et Nord-sud sont au moins tout aussi important qu’une volonté de prosélytisme violent. Alors on s’abrite derrière le drapeau de la religion qui parait bien plus honorable qu’un drapeau révolutionnaire ou celui de gangsters. Mais la religion sert de prétexte bien plus que d’objectif dans cette nouvelle violence politique, économique et sociale. L’Islam sert beaucoup plus d’alibi que de fondement à la pratique terroriste. Et cette pratique joue sur un certain nombre d’ambiguïté et d’incertitudes de la révélation coranique prise au pied de la lettre.

De la sidération

(…) il ne faut pas entrer dans la logique des terroristes et se laisser sidérer. Les médias qui font de la surenchère à l’horreur, qui la déclinent en boucle dans les pages de leurs journaux ou sur les chaînes d’information continue, les experts autoproclamés et apocalyptiques qui en font commerce sur les plateaux télé entrent complètement dans la stratégie des terroristes. Ils en sont les auxiliaires particulièrement appréciés et recherchés. Je suis toujours stupéfait d’entendre les médias s’indigner et se lamenter parce que les terroristes frappent des « victimes innocentes ». Bien sûr qu’ils frappent des innocents ! C’est l’innocence des victimes qui fonde l’acte terroriste. Qu’est-ce qu’on dirait s’ils frappaient des coupables ?

De l’Arabie Saoudite

(…) à partir de 1945, la famille Saoud se retrouve à la tête d’un extraordinaire capital pétrolier. Encore plus exceptionnel : cette manne lui vaut, non à titre d’Etat mais à titre de personnel et familial, la protection des américains. (…) Cette alliance est d’autant plus précieuse pour les Américains que, outre les intérêts financiers partagés, l’influence des Saoud dans le monde musulman constitue un excellent contre-feu face aux dérives sociales, libérales, nationalistes, tiers-mondistes qui pourraient aboutir ici où là à des contestations de l’hégémonie économique américaine. Théocratie familiale, l’Arabie saoudite fait tout ce qu’elle peut en terre d’islam pour s’opposer aux initiatives démocratiques, aux systèmes politiques électifs ou représentatifs, au développement des droits de l’homme qui constitueraient autant de critiques implicites de son propre système. Et elle le fait avec la seule arme dont elle dispose : l’argent.

(…)

La violence politique en Arabie saoudite, on en parle très peu, parce que les Saoudiens verrouillent strictement l’information à ce sujet, mais elle est permanente et récurrente depuis les années 1970. Et elle s’inscrit dans le même registre que la plupart des phénomènes de violence islamiste dans le monde : celui de la légitimité des Saoudiens et de leurs rapports avec les Etats-Unis.

Des frères musulmans

De sa connivence avec les nazis, la confrérie conservera les pires caractéristiques de toutes les mouvances fascistes : même appétit de pouvoir et de rentes, même recrutement petit-bourgeois, même socle idéologique fondé sur des valeurs identitaires mythiques excluant tous ceux qui ne les partagent pas, même duplicité pragmatique, même violence terroriste magnifiée pour souder les militants et tétaniser les opposants, mêmes assassinats politiques, m^me haine de la démocratie que l’on se réserve cependant d’utiliser en vue de parvenir au pouvoir pour mieux l’éliminer ensuite, même détournement des procédures associatives et sociales démocratiques, même évolution historique émaillée de putschs ratés, de terrorisme réussi, de services rémunérés des puissants, d’exploitation de la misère et des peurs des plus défavorisés, de sacrifices méprisants des militants de base.

De l’Arabie saoudite et des Frères musulmans

Ce sont les pires ennemis du monde, mais qui n’ont d’autre choix que de se supporter, car leurs intérêts sont complémentaires et inextricablement liés par l’idéologie et l’argent.

De l’islamisation de la planète

Les Frères savent très bien qu’ils ne vont pas islamiser la planète entière, y compris les manchots de l’Antarctique. Leur objectif réel ne concerne que leur territoire de contrôle « naturel », que ce soit dans le monde musulman ou à l’extérieur, dans les communautés émigrées.

Du choc des civilisations

Ce que je retiens, ce que je vois de la stratégie globale des frères musulmans, c’est qu’ils veulent rendre l’ensemble du monde islamique haineux vis-à-vis de l’Occident et haïssable par lui. Conduire ces deux univers au rejet mutuel, de façon à ce qu’il devienne possible d’agir dans le monde musulman sans que l’Occident ressente la moindre envie d’y intervenir. Il faut enfermer le monde musulman dans son isolement, boucler les portes, justifier la théorie de Samuel Huntington sur le « choc des civilisations ».

De la Turquie

C’est en fermant la porte de l’Europe à la Turquie qu’on fait le lit de l’islamisme politique dans ce pays puisqu’on l’oblige ainsi à un repli identitaire.

De l’islam et de la démocratie

L’islam, même dans sa version la plus fondamentaliste, n’est pas nullement incompatible avec la démocratie. (…) A cet égard, la République romaine ou la démocratie athénienne que nous nous plaisons en Europe à voir comme les parangons de nos démocraties contemporaines sont une véritable escroquerie intellectuelle. Leur système ne fonctionnait que parce que chaque citoyen avait à sa disposition une ribambelle d’esclaves pour subvenir à ses besoins.

Des musulmans de France

Sur ces 4 à 5 millions de musulmans, quelques dizaines sont passées à la violence terroriste, quelques centaines à la provocation religieuse, quelques milliers à la violence sociale ou crapuleuse. Que faut-il considérer en priorité ? Les 50 000, pour compter large, qui sont passés à la transgression ou les 4 950 000 qui ne demandent qu’à vivre en paix dans un la société de leur choix  et qui, par ce choix, nous honorent de leur présence et rendent hommage à nos valeurs ? Le 1 % ou le 99 % ? Evidemment, le 1 % fait plus parler de lui que les autres et donne de meilleures images pour le journal télévisé de 20 heures. Ensuite, nos médias seraient peut-être avisés de donner un peu plus la parole aux représentant des 99% qu’aux ténors du 1%, porte-parole avérés ou habilement déguisés des Frères, toujours beaux parleurs et télégéniques qui sont payés pour cela.

Du 11 septembre

Mais au lieu de poser froidement les termes de cette équation, à savoir que l’attaque du 11 septembre était un crime dont il fallait rechercher et punir les auteurs, la Maison-Blanche en a fait une déclaration de guerre planétaire. Evidemment, cela faisait l’affaire des services de sécurité américains et de la nomenklatura militaro-industrielle, qui ne pouvaient admettre qu’ils avaient été surpris et que les milliards de dollars dépensés pour la défense du pays n’avaient pu prévenir une telle action.

De la guerre à la terreur

On n’a jamais défini les buts de guerre, ni en Irak ni en Afghanistan. Ces guerres peuvent durer mille ans. Qu’est-ce qu’on veut au juste ?  

(…)

Cette guerre à la terreur est la mère de toutes les guerres, car elle pose les fondements d’une haine durable entre le monde musulman et l’Occident. Elle fait le jeu des terroristes djihadistes. Si un « choc des civilisations » devait survenir un jour, comme le prédit Huntington, il ne viendrait pas des musulmans, mais de cette réponse totalement inadéquate aux attentats du 11 septembre.

(…)

Aux deux extrémités du monde musulman, en Algérie comme en Indonésie, la violence islamiste correspond ainsi à une situation précise dans un contexte donné. Elle est inextricablement liée aux vicissitudes de la vie publique locale et à des ingérences étrangères qui ont tout à voir avec des visées impériales et rien avec la religion. Ce sont des situations qui réclament des solutions spécifiques et adaptées. De tels phénomènes ne peuvent être enrayés par une quelconque « guerre mondiale à la terreur », qui ne fera que les stimuler.

De l’OTAN

L’Union soviétique ayant disparu, à quoi sert l’OTAN si ce n’est à fournir une couverture aux opérations américaines sur l’ensemble de la planète ?

De l’Iran

Contrairement à ce que pensent la majorité des Occidentaux, l’Iran n’est pas une dictature

(…)

l’allié naturel d’Israël dans la région, c’est l’Iran.

De l’Algérie

Le rapport des différentes composantes de la vie publique algérienne avec la France est complexe et difficile. La violence politique en Algérie existe, comme la violence crapuleuse. Le danger islamiste aussi. Mais il n’a rien à voir avec une supposée internationale de la terreur djihadiste pilotée depuis une grotte Waziristân par un croquemitaine barbu.

De l’internationale islamiste

Dans le cas de la Somalie comme dans celui de l’Irak, il est donc clair que l’apparition de la violence djihadiste n’est ni endogène ni coordonnée à une quelconque « internationale » islamiste, qui viserait à contraindre les « infidèles » : le développement de cette violence est dû à des destructions brutales, consécutives à des interventions militaires mal avisées et mal conduites, ainsi qu’à l’ingérence de puissances étrangères intéressées aux manifestations d’un islam politique particulièrement réactionnaire.    

Du djihad

C’est bien à ce genre de comportement que l’on distingue clairement les buts de guerre des djihadistes : leurs cibles ne sont pas les adversaires du monde arabe, ce sont des musulmans et des alliés des musulmans.

Du Grand Moyen-Orient

Contrairement à ce que veulent croire les « conspirationistes », la guerre menée par les Etats-Unis en Irak n’a pas été une guerre pour le pétrole, même si la maîtrise énergétique de trouve toujours en toile de fond des stratégies américaines. (…) les théoriciens de l’administration Bush ont clairement eu cette idée de changer la donne stratégique dans l’ensemble de la région : c’est le plan dit du « Grand Moyen-Orient ». Celui-ci promeut le concept d’un Moyen-Orient démocratique, bourgeois et commerçant, apaisé parce que éclaté sur le plan communautaire de façon à constituer un ensemble de petits pays homogènes et plus ou moins rivaux entre eux, dont aucun n’aurait la puissance suffisante pour s’opposer aux intérêts américains ou aux intérêts israéliens.

Du partage du Moyen-Orient entre la France et le Royaume-Uni dans l’entre-deux-guerres

On découpe des pays complètement artificiels dont on s’échange ou s’arrache des lambeaux au gré des aléas des relations entre puissances. Et il y a là en germe tous les contentieux qui agitent la région cent ans plus tard

Du rôle des Etats-Unis après la seconde guerre mondiale

(…) partout dans le monde arabe, les Etats-Unis jouent, en accord avec leur allié saoudien, la carte des extrémistes islamistes contre l’URSS bien sûr, mais aussi contre les forces nationalistes et progressistes locales.

Du printemps arabe

La question n’est donc pas de savoir pourquoi les citoyens du monde arabe se révoltent en 2011. Ils se révoltent régulièrement depuis trente ans. Le problème est de savoir pourquoi, en 2011, les Français, les Britanniques et les Américains, entraînant dans leur sillage quelques autres Européens plus ou moins convaincus, s’intéressent au phénomène, volent au secours des émeutiers, interviennent politiquement et militairement. Toutes initiatives qui ne manquent pas évidemment d’entraîner une généralisation du phénomène à toute la zone, chacun espérant que la sollicitude occidentale viendra enfin l’aider dans ses revendications jusque-là superbement ignorées.

Des forces d’opposition

Le problème – et il est récurrent en Tunisie comme dans nombre d’autres pays arabes et du tiers monde –, c’est qu’à force d’avoir persécuté pendant des décennies, les organisations politiques et les partis libéraux, démocratiques, sociaux – tous suspects de « gauchisme », de complaisance pour le communisme et d’hostilité aux intérêts américains –, on se retrouve dans la situation de « Pince-mi et Pince-moi sont dans un bateau »… Pince-mi, ce sont les dictateurs, Pince-moi, ce sont les organisations conservatrices et réactionnaires, en l’occurrence dans le monde musulman, les Frères musulman. Pince-mi tombe à l’eau, reste Pince-moi.

Des peuples comme les autres

Les peuples arabes et musulmans ne découvrent pas aujourd’hui qu’ils sont mûrs pour la démocratie parce que les Occidentaux jettent brutalement l’anathème sur leurs satrapes qu’ils ont courtisé pendant quarante ans. Ces peuples sont comme tous les autres, ils aspirent à la liberté et à la démocratie et s’en accommodaient fort bien jusqu’à ce que les convulsions Est-Ouest et l’alliance privilégiée de l’Occident avec les forces les plus réactionnaires du monde musulman viennent provoquer, voire imposer, la mise en place de régimes autoritaires dans leurs pays.

De l’Irak et de l’Afghanistan

L’Irak est ainsi devenu un boulet infernal, tout comme l’Afghanistan. Il y a eu plus de morts civils en Irak depuis dix ans que Saddam n’en avait fait pendant ses trente années de pouvoir. Car, encore une fois, quelle est la légitimité de ceux qui remplacent les autocrates contestés ? Quelle aurait été la légitimité des révolutionnaires de 1789 si c’était une coalition anglo-russe-prussienne qui avait coupé la tête du roi de France ?

Des causes de la violence

Elles [les causes de la violence] sont dans la richissime théocratie conservatrice de l’Arabie wahhabite qui inspire la violence, entretient ses réseaux, finance les forces politiques salafistes, fait barrage partout où elle le peut contre les libertés et la démocratie en terme d’islam, décrète l’anathème contre quiconque lui fait de l’ombre. Elles sont dans le mariage contre nature scellé en 1945 et renouvelé jusqu’en 2065, entre la première démocratie du monde occidental et la monarchie la plus réactionnaire du monde musulman. Elles ont enfin dans la croyance naïve de nos intellectuels que la violence djihadiste des Jamaâ Islaiyyah peut se dissoudre dans l’islamisme « modéré » des Frères musulmans, alors que ce sont là les deux faces d’un même Janus qui joue partout la même tragédie dévastatrice. Tant qu’on n’aura pas résolu ces contradictions fondamentales, il sera vain de rêver de « printemps » des peuples musulmans et de la fin de la violence politique islamiste.

De l’incohérence et de la crédibilité

(..) nous nous trouvons à lutter au Mali depuis janvier 2013 contre les mêmes bandes djihadistes que nous soutenons en Syrie …

(…)

La conséquence de ces incohérences est que nous ne sommes plus crédibles nulle part. Qui ira faire confiance à quelqu’un qui trahit ses alliés tous les cinq ans ? Qui soutient ici ceux contre lesquels il lutte ailleurs ? Qui prétend répandre la liberté et la démocratie alors qu’il fait cause commune avec des réactionnaires religieux ? A qui irons-nous faire croire que nous ne savions pas que les milices « révolutionnaires » libyennes et syriennes sont des djihadistes salafistes et que les Frères musulmans de Tunisie et d’Egypte n’ont aucun respect pour la liberté ?