Si j'étais moins futile, insouciant, en quasi-permanence abandonné au rêve, j'exercerais ma mémoire. De temps à autre sa faiblesse m'afflige, en me donnant l'idée de ce que j'ai perdu : livres que je me réjouis de découvrir avant de m'apercevoir soudain que je les ai déjà lus, films dont je suis incapable de retracer l'intrigue et, pire encore, événements divers dont j'aurais dû retenir au moins le charme ou la leçon. Je ne sais pas d'où me vient cette carence, sans doute d'une paresse de l'esprit. Pour m'en consoler, ou m'en défendre quand elle me fait honte, il m'arrive d'en vanter de supposés mérites : je ne sais quelles légèreté du sentiment ou spontanéité de l'émotion incompatibles avec le poids de l'expérience et du savoir. J'aimerais beaucoup y croire.

Alain Blottière - L'enchantement