J’avoue que j’étais un peu perplexe en rentrant dans l’auditorium car j’appréhendais de passer plusieurs heures à écouter ceux que je supposais être des thuriféraires de l’Europe, en louer les bienfaits. Heureusement, il n’en a rien été et j’ai rapidement constaté qu’au niveau de l’analyse de la situation, l’économiste Jérôme Creel, l’ancien député européen Jean-Louis Bourlanges ou le Chef du service des politiques macroéconomiques et des affaires européennes à la direction générale du Trésor, Philippe Gudin de Vallerin ne faisaient pas de diagnostiques fondamentalement différents de celui que je pouvais lire par ailleurs chez des économistes plus hétérodoxes. Les carences de l’Europe actuelle, sur lesquelles il n’est pas utile de revenir ici, ont été relativement bien analysées. Je n’ai rien entendu de choquant dans les propos tenus. Là où les choses se compliquent c’est lorsque l’on passe aux préconisations. Et si tout le monde semble d’accord pour reconnaître que l’Europe ne fonctionne pas bien, pour nos intervenants c’est tout simplement parce qu’il n’y a pas assez d’Europe !

Je reviendrai probablement sur les autres interventions dans un article prochain. Je voudrais me concentrer ici sur  Philippe Gudin de Vallerin, haut fonctionnaire, mécanicien en chef de la construction européenne qui en côtoie tous les rouages. Il nous a expliqué le contenu du « Paquet Gouvernance » que la Commission est en train de nous concocter, dans la lignée des travaux de la "Task Force" présidée par H. Van Rompuy, dont le charisme a été unanimement jugé équivalent à celui d’une huître. Je ne m’étendrai pas ici sur ces mesures – recommandations de politiques budgétaires et structurelles à mettre en œuvre dans les législations nationales – sensées nous assurer une bonne "gouvernance" de l’Europe. Leur détail est disponible dans la présentation de Gudin de Vallerin – lui-même présidant la commission chargée de définir des indicateurs macroéconomiques – sur le site de l’IGDPE. J’ai été frappé de constater que l’ensemble de ces mesures s’en prenaient aux Etats et à leur gestion avec notamment la mise en place d’un système de sanctions automatiques, alors que le premier intervenant,  Jérôme Creel, avait bien pris soin de préciser que les déficits n’étaient pas responsables de la crise. Je fis donc part de mon étonnement à travers une question qui, à ma grande satisfaction je l’avoue, a mis un peu d’animation dans des débats par ailleurs forts courtois, en faisant surgir une contradiction évidente entre les intervenants mais surtout dans les faits. D’un côté on reconnaissait que les Etats n’étaient pas directement responsables de la crise et de l’autre, c’est eux que l’on prévoyait de sanctionner à l’avenir. Jérôme Creel a alors reconnu que l’on restait, avec ces nouvelles propositions, dans une logique purement comptable et que l’ensemble l’inquiétait beaucoup. Dans ses explications un peu embarrassées, Philippe Gudin de Vallerin n’a fait que mettre de l’eau au moulin des opposants à la construction européenne telle qu’elle se fait. Il est ainsi notamment revenu sur le concept de zone monétaire optimale pour expliquer certaines difficultés rencontrées et il a reconnu que trouver des accords à 27 était un vrai cauchemar !  Il a conclu en recommandant d’aller vers plus de fédéralisme.

Vous avez donc là un (très) haut fonctionnaire à qui vous arrivez à faire dire du bout des lèvres que ce qu’il est en train de mettre en place ne fonctionnera pas ou très mal – il qualifie lui-même l’une de ces mesures de carrément stupide – mais qui fera cependant tout son possible pour faire aboutir le projet. Comment peut-on lutter contre cela ?

Interrogé par une étudiante sur ce que lui proposerait si il en avait la possibilité, il s’est abstenu de répondre, ce que l’on peut comprendre compte tenu de sa fonction. A la lumière de cette question, je me suis néanmoins fait la remarque que certains spectateurs avaient peut-être saisis le tragique de la situation et j’ai la faiblesse de penser que mes interventions y ont été pour quelque chose.     

La suite au prochain épisode…