Le constat est sans appel : "Le changement de propriétaire sur le point de survenir dans le champ de la science économique n’aura vraisemblablement aucun pouvoir de guérir la discipline de son strabisme, simplement aura-t-il l’effet de la faire loucher dans une autre direction." En fait, une idéologie va en remplacer une autre s’appuyant sur les neurosciences et leurs protocoles expérimentaux, plutôt que sur les mathématiques. " La neurobiologie, voilà donc le nouvel horizon fantasmatique de l’économie qui, à forme invariante, continue de poursuivre le même désir de faire science mais par d’autres moyens…"

Les caractéristiques de la BE qui me paraissent les plus significatives sont le supposé retour aux sources et à l’esprit des Pères fondateurs comme Adam Smith et Keynes qui n’avaient pas sous-estimé l’importance des forces passionnelles, et l’ambition de devenir une science expérimentale revendiquant la « réalité des comportements ». Et ce qui nous attend, à en croire Lordon, n’est pas des plus réjouissant, "car là où la théorie néoclassique ne s’amusait qu’avec les politiques macroéconomiques, la neuro-BE, science de l’homme unique et définitive, aura nécessairement pour destination de s’en prendre à l’homme. (…) la BE servira de corpus scientifique à toutes les entreprises de manipulation des émotions et de conditionnement psychique subordonnées à la valorisation du capital."

Si l’empapaoutage des salariés a déjà bien commencé, il va falloir encore un peu de temps avant que tout cela ne soit réellement apparent aux yeux de tous : "Il est bien certain que la temporalité des renversements d’hégémonie dans les champs intellectuels est plus de l’ordre de grandeur de la décennie que du trimestre, aussi le résultat des courses ne sera-t-il pas connu avec certitude avant un moment. Il y a cependant d’assez bonnes raisons de parier (…)"

Les paris sont pris. 

Rendez-vous dans dix ans !