Une adresse européenne, par Frédéric Lordon
Par RST le dimanche, 27 avril 2014, 15:27 - Citation - Lien permanent
«Nous voulons faire une monnaie commune européenne restituant toutes ses possibilités à la politique économique. Avant de pouvoir refaire, il va falloir défaire. La construction institutionnelle d’une monnaie commune ne se fera pas dans le dos des peuples, elle ne peut avoir de légitimité que par validation référendaire, elle ne se fera donc pas en un week-end obscur, mais au grand jour et en prenant le temps qu’il lui faut. Par conséquent, nous devons sortir de l’euro et revenir à nos monnaies nationales respectives comme base du nouveau départ européen.
Nous imaginons bien que tous ne nous suivront pas tout de suite. Mais d’abord nous pouvons très bien vivre sous monnaie nationale, et probablement mieux que les malheureux qui continueront de souffrir mort et passion sous la tutelle euro-allemande. Il se pourrait fort bien d’ailleurs que, du moment où les marchés financiers entendront parler de notre projet, qui a précisément pour intention de mettre fin à leur règne sur la politique économique, ils mettront la zone à feu et à sang – et produiront d’eux-mêmes l’explosion de retour forcé vers les monnaies nationales. De toute façon, nous sommes prêts à bouger parce qu’on ne prouve le mouvement qu’en marchant, persuadés par ailleurs que le spectacle dudit mouvement pourrait bien donner quelques idées à ceux qui l’observeront. Combien nous nous retrouverons, nous l’ignorons, mais partant de l’idée que nous y arriverons très bien à un, nous nous disons qu’à partir de deux ce sera déjà quelque chose ! Nous nous disons aussi que nous serons mieux à quatre ou cinq réunis par des principes authentiquement communs et progressistes qu’à dix-sept déchirés par des principes régressifs. L’Allemagne repartira-t-elle de son côté avec son néo-Deutsche Mark et quelques alliés qui lui ressemblent ? C’est très possible, et ça n’a rien d’un drame. Qui peut imaginer un seul instant que, même ne partageant pas la monnaie de certains pays européens, elle cesserait de commercer avec eux ? d’y investir ? de faire circuler ses étudiants, ses chercheurs, ses artistes, ses touristes – que nous continuerons, évidemment, d’accueillir avec joie – , et de recevoir les nôtres ? Nous pouvons même imaginer que si un jour elle finit par liquider ses mythes et ses terreurs nocturnes, si sa population finit par être lasse de la déflation salariale et des inégalités dont elle prendra bientôt une conscience douloureuse, elle souhaite nous rejoindre – ce sera avec plaisir. De toute façon, nous faisons cette proposition à tous, maintenant et pour plus tard. Entende et vienne qui voudra. »
Extrait de « La malfaçon - Monnaie européenne et souveraineté démocratique »