Un petit nombre d'oligopoles mondiaux est en train de tondre le salarié et le consommateur
Par RST le vendredi, 26 mars 2010, 18:45 - Macroéconomie - Lien permanent
J’ai bien entamé la lecture du hors-série numéro 84 d’Alternatives Economiques intitulé "L’état de l’économie en 2010". Contrairement à ce que le titre pourrait éventuellement laisser croire, ce n’est pas un état des lieux bourré de tableaux et de chiffres, mais un recueil d’articles intéressants pour la plupart, sur des sujets variés couvrant l’ensemble des grandes questions que l’on peut se poser sur l’économie mondiale et son fonctionnement. Certes tout n’est pas d’un niveau égal, et l’ineffable C.Chavagneux, le héraut de la pensée unique version "soft", nous gratifie de son discours convenu pour dénoncer le protectionnisme qu’il ne peut concevoir, à l’instar de son mentor P. Lamy, que comme l’une des dix plaies d'Égypte, ou encore pour se réjouir des progrès qu’il croit pouvoir déceler dans la mise sous contrôle de la finance.
Mais heureusement, on trouve aussi des choses remarquables et notamment un entretien avec Pierre-Noël Giraud qui confirme, ce dont on se doutait un peu il est vrai, à savoir que malgré la crise, rien n’a vraiment changé dans le monde de la finance. Mais il est toujours intéressant d’en avoir la confirmation par un spécialiste qui fait preuve d’un grand sens pédagogique pour nous expliquer les choses en termes clairs et précis et en mettant en avant quelques idées fortes et souvent originales.
La première de ces idées concerne
la mondialisation. Pour Giraud si elle n’est pas directement responsable de la
crise économique actuelle, elle l’a néanmoins nettement amplifié à travers les
transformations de la finance qui a privilégié celle dite de marché par rapport
à la finance bancaire intermédiée. Cela a donné lieu à "une innovation financière débridée"
et à la création de produits permettant aux acteurs financiers de capter les
rendements en transférant les risques aux autres. On ne peut s’empêcher d’apercevoir,
sous cette métaphore, les subprimes par exemple, sinon dans leur forme
originelle – que certains économistes comme Aglietta estiment nécessaire – mais
au moins dans leur forme "pervertie" de "subprime de subprime",
les subprimes au carré voire au cube. Quant au rôle supposé de la globalisation
dans la réduction des inégalités, Giraud reconnait qu’il est réel entre les
pays émergents et les pays riches mais que cela s’est effectué au prix
d’une aggravation des inégalités au sein même des sociétés. Quand on vous dit
que la mondialisation, dans sa forme actuelle, profite principalement aux oligarchies apatrides ! Vous n’êtes pas convaincu ? Giraud lui,
l’est : "on assiste à la
constitution d'un petit nombre d'oligopoles mondiaux qui sont en train de
tondre le salarié et le consommateur moyens au niveau mondial." Tout
est dit !
Une deuxième idée forte et assez
originale celle-là, concerne ce que Giraud appelle "une forme de protectionnisme stratégique". Il consisterait à réorienter les mouvements de
marchandises en ouvrant nos marchés à l’Afrique et en les fermant un peu aux
pays émergents. Ce faisant, ces derniers seraient amenés à se recentrer sur
leur propre marché intérieur mais aussi à délocaliser sur le continent Africain,
lui faisant ainsi bénéficier de l’ouverture dont eux-mêmes ont bénéficié par le
passé et qui a permis, dans une certaine mesure décrite ci-dessus, de réduire
les inégalités. La situation ainsi créée ne pourra de toute façon difficilement
être pire pour l’Afrique que l’actuelle.
A noter en revanche, que si
Giraud recommande de contrôler les échanges de marchandises, il n’est pas
favorable au contrôle des mouvements de capitaux car, selon lui, "on ne peut pas vraiment faire de tri entre
les capitaux purement spéculatifs et les autres". Je me permettrai
d’avoir ici un point de désaccord. Je ne sais pas comment faire pratiquement
pour exercer ce contrôle mais il me parait néanmoins indispensable.
La troisième et dernière idée que
j’ai retenue des propos du professeur d’économie à Mines Paris Tech est partagée par de nombreux économistes. Elle
concerne le système bancaire. Partant du constat qu’il est vain de prétendre
pouvoir se passer de la finance de marché et celle-ci étant "intrinsèquement instable", il faut
"la cantonner pour éviter les dégâts
collatéraux qu'elle peut infliger à la monnaie et au crédit, et donc à
l'économie ". Cela passe par un retour, selon des modalités qui
restent à déterminer, à des mesures de type Glass-Steagall Act "pour séparer clairement deux types de
banques: les banques de dépôt et de crédit aux particuliers et aux entreprises,
d'un coté, et les institutions agissant sur les marchés financiers, de l'autre"
mais aussi par la création d’une sorte de service public du crédit.
En raison notamment de la puissance concentrée entre les mains de quelques "acteurs économiques globalisés" et malgré les divers sommets de type Pittsburgh ou Copenhague, la crise n’a donné lieu à aucun changement significatif et Giraud en prédit d’autres à venir. Pour lui, le vrai problème réside dans le fait que "les systèmes politiques restent nationaux alors que le système économique est mondial." Malgré cela, il se veut néanmoins raisonnablement optimiste, en envisageant l’évolution du système économique au cours des 50 prochaines années avec notamment une importance plus grande dévolue à la "sphère de l’intervention publique […] par rapport à la sphère privée". Puisse-t-il avoir raison et puisse cela être suffisant !