Il n’ y a plus – en supposant qu’il y en ai jamais eu – d’ambiguïté quant à la position de Lordon sur la monnaie unique et l’Union Européennes : il faut sortir de l’un et de l’autre et retrouver notre souveraineté. Et ces exigences sont nécessaires, à défaut d’être suffisantes, avant de pouvoir envisager de sortir du capitalisme ou de remettre en cause le principe de croissance, toutes choses par ailleurs fort souhaitables selon l’auteur.

De manière assez classique, Lordon s’en prend violemment à la mondialisation et à la  financiarisation ainsi qu’à ses promoteurs zélés, Delors et Lamy en tête, qui nous ont livrés pieds et poings liés à la dictature des marchés. Il appelle un chat un chat, en reprochant à l’Allemagne d’imposer ses conceptions économiques basées sur le grand mythe collectif allemand de l’après-guerre, le mythe monétaire, « point d’investissement de substitution d’un sentiment national interdit d’expression patriotiques chauvines après la défaite ». Il en arrive même à défendre le député européen britannique Nigel Farage – dont, soit dit en passant, le parti UKIP soutient ouvertement, dans le cadre des élections européennes,  Nicolas Dupont Aignan et Debout la République – dans sa critique de l’hégémonie allemande. Enfin, il règle ses comptes avec la gauche critique européiste, que ce soit ATTAC ou les Economistes Atterrés, qui refuse de voir qu’il est plus simple de faire bouger les choses au niveau de l’Etat-nation plutôt qu’au niveau de l’Union Européenne.

Tout en ayant l’honnêteté de nous prévenir que ce ne sera pas facile  et qu’ « au moins au début, "ça" devrait pas mal tanguer », Lordon nous propose son mode d’emploi pour sortir de la monnaie unique, s’appuyant notamment sur un défaut sur les dettes souveraines, le réarmement des banques centrales nationales, la dévaluation,  la reprise en main du secteur bancaire et le contrôle des capitaux. On peut alors envisager de passer à une monnaie commune qui se ferait avec ceux qui le veulent et donc, dans un premier temps au moins, sans l’Allemagne. Lordon en décrit le fonctionnement théorique qui repose principalement sur l’équilibre des balances courantes avec un système de règles qui ressemble furieusement à ce qu’a  proposé en son temps Davidson. Cette monnaie commune, c’est l’objet de l’appel que lance Lordon dans un chapitre intitulé « Une adresse européenne » et que je reproduis in extenso dans le texte suivant.

Enfin, Lordon conclut son ouvrage avec un texte initialement publié sur son blog en Juillet 2013, dans lequel il distingue le bon souverainisme, celui de gauche, du mauvais souverainisme, celui de droite. Evidemment, je ne suis pas d’accord comme je l’avais déjà signifié dans un texte intitulé « Ce que la "gauche critique" ne nous prendra pas ».  De même, je ne suis pas d’accord avec  son insistance à vouloir, comme il le fait dans un texte en appendice, perpétuer artificiellement un clivage droite gauche basé sur la distinction entre ceux qui veulent sortir du cadre (donc de gauche) et les autres (donc de droite,  décomplexée comme l’UMP ou complexée comme le PS). En ce qui me concerne, je veux sortir du cadre, remettre les structures en cause  et j’agis modestement en conséquence. Pour autant, je ne me revendique pas de gauche et ne me sens pas particulièrement à droite. Mais je suis volontaire pour tenir le balai, le jour où nous déciderons de « recourir à d’autres moyens que celui qui consiste à simplement user ses semelles »  comme il l’envisage dans un dernier texte en appendice.