Au début des années 1970, l’économie britannique est la grande malade de l’Europe. La croissance est erratique, la livre sterling est régulièrement dévaluée et l’inflation atteint des sommets. Margaret Thatcher arrive au pouvoir en 1978 et y restera jusqu’en 1990. Son gouvernement conservateur a su exploiter d’importants atouts hérités de ses prédécesseurs, notamment travaillistes : "des services publics modernes, une protection sociale efficace, une manne pétrolière en plein second choc pétrolier, et d’importantes participations rationalisées de l’Etat dans l’économie concurrentielle. En apparence, la politique thatchérienne est un abandon de toute politique industrielle : privatisation, suppression des subventions aux entreprises, absence de soutien aux PME. Pourtant l’essentiel de sa révolution conservatrice peut se lire justement comme une politique industrielle : le développement de la City et plus largement des services financiers aux entreprises.
Pourquoi ce choix s’avérera-t-il pertinent ? L’industrie financière est l’un des premiers secteurs bouleversés par les technologies de l’information et de la communication, car c’est l’un des principaux utilisateurs de ces technologies
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Partant du constat paradoxal que "les technologies de l’information ont plutôt tendance à accentuer l’agglomération des activités basées sur la connaissance plutôt que leur désagrégation" et que par ailleurs, "l’information étant essentielle dans le domaine financier, la proximité géographique des acteurs devient alors essentielle", l’Etat investit pour doter Londres d’accès aux technologies de communication les plus avancées. A travers les privatisations et l’arrêt des investissements dans le secteur public, le gouvernement dégage une importante marge budgétaire. Une fiscalité favorable aux plus riches complète l’ensemble qui permet à l’industrie financière et de services aux entreprises de disposer "de conditions technologiques, d’un marché interne et d’un environnement sociofiscal optimisé pour son développement." Enfin, la libéralisation financière permet au Royaume-Uni d’achever "une rapide transition d’une industrie manufacturière à une nouvelle économie de services financiers et aux entreprises".

Mais cette brusque transition ne se fait pas sans de gros inconvénients. "Au prix d’inégalités sociales croissantes, de services publics à l’abandon, d’une forte poussée transitoire du chômage, et d’une vulnérabilité au cycle financier, la Grande-Bretagne est ainsi un des premiers pays à recouvrer des gains de productivité dès le tournant des années 1980 et à surfer sur une nouvelle économie de l’utilisateur".  P.Askenazy conclut alors que "Cette expérience britannique illustre qu’une politique d’abaissement massif de la contribution fiscale des couches les plus aisées et l’ultralibéralisme ne sont pas une fin économique en soi. Pour réussir outre-Manche (du moins en termes de croissance), elle a du être au service d’une politique d’innovation précise. Elle supposait également une capacité de mobiliser au moins transitoirement des marges de manœuvre budgétaires significatives"   

 A la lecture de cette analyse, on peut se demander si les récentes émeutes en Angleterre ne sont pas une preuve flagrante de l’échec total et définitif de ce qui a pu artificiellement apparaitre comme un miracle. Et l’on constate que, comme le répète l’excellent Yann sur son blog remarquable, mesurer le succès d’une économie à ses gains de productivité est un non sens économique absolu : « En réalité, la notion de productivité ne devrait pas sortir des usines, elle n’a aucun sens lorsque l’on compare des pays »