Peut-on enfin parler sereinement de la Résistance et des Résistants ?
Par RST le mardi, 9 février 2010, 19:52 - Divers - Lien permanent
Je suis tombé récemment au hasard de ma naviguation sur le Net, sur une critique de la biographie de Lucie Aubrac par Laurent Douzou. Je précise que je n’ai pas lu cet ouvrage et que cette note de lecture est donc la bienvenue. Néanmoins, elle m’a laissé l’impression désagréable que la rédactrice, Emeline Vanthuyne, critique à nonfiction.Fr, insiste trop sur ce qu’elle appelle "les incohérences entre son [Lucie Aubrac] témoignage et les archives exploitées", sans d’ailleurs en signaler de majeure, d’incohérence. Une phrase de la conclusion m’a particulièrement fait réagir :"A la lecture de cet ouvrage, on constate donc que Lucie Aubrac, tout comme d’autres acteurs illustres de la Résistance et de la France Libre (on songe ici à de Gaulle lui-même, à Passy ou au colonel Rémy), a participé à la construction de son « personnage »". Je n’aime pas du tout cette façon insidieuse de jeter le soupçon, en laissant entendre que tous les Résistants se seraient comportés de façon particulière vis-à-vis de leur histoire. De même, il est proprement ridicule de prétendre inclure le Général de Gaulle dans cette critique. N’avons-nous pas aujourd’hui assez de recul pour enfin aborder l’histoire de la Résistance avec objectivité et sérénité ?
Le premier reproche qui vient
immédiatement à l’esprit est la totale vacuité du constat que Lucie Aubrac aurait
participé à "construire son
personnage". Ce constat pourrait s’appliquer à toute personnalité
publique, quelque soit son champ d’activité et quelque soit la période de
l’Histoire, et peut-être même à tout individu. Nous participons tous, tout au
long de notre existence, à nous construire un personnage, et utiliser ce genre
de cliché pour conclure une note de lecture consacrée à une biographie est
particulièrement inapproprié. Il est tout à fait naturel, qu’entre les
souvenirs personnels et une certaine image de la réalité que l’historien peut
percevoir à travers l’étude des divers documents à sa disposition, il y ait des
différences. Alain Peyrefitte l’a bien
compris qui écrit en introduction de "C’était de Gaulle" : Je me méfie de la mémoire : elle flanche, comme dit la chanson. Je
me méfie des Mémoires : ils reconstruisent le passé à leur façon.
Inévitablement, ils remodèlent les souvenirs en fonction de ce qui était alors
un avenir inconnaissable, mais qui est devenu entre-temps un passé trop
présent.
Quant à prétendre que De Gaulle aurait construit son personnage, ce serait risible si cela ne constituait pas une totale incompréhension de l’histoire. Ce n’est pas un personnage que le Général a construit, c’est la France !
Ce que l’on pourrait qualifier sinon d’animosité, du moins de présupposés défavorables de la part d’Emeline Vanthuyne vis-à-vis des Résistants, est une parfaite illustration de l’attitude dénoncée par Georges-Marc Benamou dans son ouvrage "C’était un temps déraisonnable" :
Plutôt que de concentrer son analyse sur des "omissions" et des "inexactitudes" insignifiantes, je suggère à Emeline Vanthuyne de participer au prochain rassemblement au Plateau des Glières le 16 mai prochain. Elle y rencontrera peut-être certains de ceux qui, comme Daniel Cordier, Stéphane Hessel ou Walter Bassan ont "participé à se construire un personnage" et qui, accessoirement, ont risqué leurs vies pour que nous puissions vivre libres. Et sauf à apporter les éléments pour prouver de graves inexactitudes dans la "légende" de Lucie Aubrac, elle pourra alors avoir la décence de reconnaitre que, contrairement à ce qu’elle a l’audace d’écrire, ce n’est pas "sa faculté à captiver des auditoires variés [qui] fit d'elle [L.Aubrac] un « personnage »", mais bien les risques qu’elle a prit et le combat qu’elle a mené .Au fond, la France n’a jamais voulu regarder les résistants en face. Elle a fait de leur épopée une histoire officielle et d’eux des anciens combattants. De même avec de Gaulle : le général de juin 40, solitaire, dissident, bientôt condamné à mort par Pétain, survolant le 17 juin dans un petit zinc, Brest en flammes, est bien moins fameux que le glorieux chef de la France libre qui, le 25 août 1944, descend les Champs-Élysées dans Paris libéré. Le premier de Gaulle est si seul, et subversif, que longtemps on n’a pas pu le regarder à l’œil nu. Il a fallu, pour le voir, le filtre d’une histoire raisonnable, aseptisée.
La France n’a jamais voulu voir ses résistants tels qu’ils étaient. Après-guerre, ils étaient trop sacrés ; ensuite, ils n’étaient plus d’actualité, et puis ils sont vite devenus ennuyeux. Et comme si cela ne suffisait pas, ces dernières années, les héros sont devenus des suspects. Tout a commencé avec l’opération de déstabilisation de Me Vergès au procès Barbie, en 1986. Sa ligne de défense c’était : salir la Résistance. (…) On a traîné les résistants et leurs fantômes devant un tribunal. On les a tous fait défiler à la barre. Les morts et les vivants. (…)Les résistants, on ne les a pas vu vieillir, on les a négligés, rangés au musée.