Le premier reproche qui vient immédiatement à l’esprit est la totale vacuité du constat que Lucie Aubrac aurait participé à "construire son personnage". Ce constat pourrait s’appliquer à toute personnalité publique, quelque soit son champ d’activité et quelque soit la période de l’Histoire, et peut-être même à tout individu. Nous participons tous, tout au long de notre existence, à nous construire un personnage, et utiliser ce genre de cliché pour conclure une note de lecture consacrée à une biographie est particulièrement inapproprié. Il est tout à fait naturel, qu’entre les souvenirs personnels et une certaine image de la réalité que l’historien peut percevoir à travers l’étude des divers documents à sa disposition, il y ait des différences.  Alain Peyrefitte l’a bien compris qui écrit en introduction de "C’était de Gaulle" :

Je me méfie de la mémoire : elle flanche, comme dit la chanson. Je me méfie des Mémoires : ils reconstruisent le passé à leur façon. Inévitablement, ils remodèlent les souvenirs en fonction de ce qui était alors un avenir inconnaissable, mais qui est devenu entre-temps un passé trop présent.

Quant à prétendre que De Gaulle aurait construit son personnage, ce serait risible si cela ne constituait pas une totale incompréhension de l’histoire. Ce n’est pas un personnage que le Général a construit, c’est la France !    

Ce que l’on pourrait qualifier sinon d’animosité, du moins de présupposés défavorables de la part d’Emeline Vanthuyne vis-à-vis des Résistants, est une parfaite illustration de l’attitude dénoncée par Georges-Marc Benamou dans son ouvrage "C’était un temps déraisonnable" :

Au fond, la France n’a jamais voulu regarder les résistants en face. Elle a fait de leur épopée une histoire officielle et d’eux des anciens combattants. De même avec de Gaulle : le général de juin 40, solitaire, dissident, bientôt condamné à mort par Pétain, survolant le 17 juin dans un petit zinc, Brest en flammes, est bien moins fameux que le glorieux chef de la France libre qui, le 25 août 1944, descend les Champs-Élysées dans Paris libéré. Le premier de Gaulle est si seul, et subversif, que longtemps on n’a pas pu le regarder à l’œil nu. Il a fallu, pour le voir, le filtre d’une histoire raisonnable, aseptisée.
La France n’a jamais voulu voir ses résistants tels qu’ils étaient. Après-guerre, ils étaient trop sacrés ; ensuite, ils n’étaient plus d’actualité, et puis ils sont vite devenus ennuyeux. Et comme si cela ne suffisait pas, ces dernières années, les héros sont devenus des suspects. Tout a commencé avec l’opération de déstabilisation de Me Vergès au procès Barbie, en 1986. Sa ligne de défense c’était : salir la Résistance. (…) On a traîné les résistants et leurs fantômes devant un tribunal. On les a tous fait défiler à la barre. Les morts et les vivants. (…)

Les résistants, on ne les a pas vu vieillir, on les a négligés, rangés au musée.

Plutôt que de concentrer son analyse sur des "omissions" et des "inexactitudes"  insignifiantes, je suggère à Emeline Vanthuyne de participer au prochain rassemblement au Plateau des Glières le 16 mai prochain. Elle y rencontrera peut-être certains de ceux qui, comme  Daniel Cordier, Stéphane Hessel ou Walter Bassan ont "participé à se construire un personnage" et qui, accessoirement, ont risqué leurs vies pour que nous puissions vivre libres. Et sauf à apporter les éléments  pour prouver de graves inexactitudes dans la "légende" de Lucie Aubrac, elle pourra alors avoir la décence de reconnaitre que, contrairement à ce qu’elle a l’audace d’écrire, ce n’est pas "sa faculté à captiver des auditoires variés [qui] fit d'elle [L.Aubrac] un « personnage »", mais bien les risques qu’elle a prit et le combat qu’elle a mené .