Le troc désigne des transactions dans lesquelles le paiement se fait en nature. Mais, comme l’explique l’auteur, ces transactions peuvent paradoxalement conserver un caractère monétaire : « (…) le caractère monétaire d’une transaction ne repose pas sur la présence effective de la monnaie comme intermédiaire des échanges mais renvoie fondamentalement au paiement. On entre en effet dans l’ordre monétaire à partir du moment où l’on institue la dette économique comme dette extinguible. L’ordre monétaire est institué par la possibilité de la libération, et le paiement est cet acte reconnu comme libératoire ». Si donc le troc correspond bien à une transaction monétaire sans monnaie, celle-ci est évidemment particulière et les conditions pour qu’un bien puisse servir d’instrument de paiement sont plus exigeantes que celles requises par la monnaie officielle. Une des difficultés principales est que « (…) la relation de dette véhiculée par l’utilisation d’une marchandise comme moyen de paiement n’est pas bilatérale mais tripolaire : le recouvrement de la créance implique non seulement le débiteur qui utilise la marchandise pour régler sa dette et le créditeur qui la reçoit, mais aussi un tiers agent qui acceptera in fine la marchandise pour paiement ou pour sa valeur d’usage (…)»  Cette difficulté se caractérise par la nécessité  d’ « une organisation stricte et ordonnée des échanges réglés en nature : le réseau de troc ». Ce réseau fonctionne de fait comme  « une institution de paiement informelle qui veille à l’extinction des dettes (commerciale, salariale et fiscale) de ses membres à partir d’une multiplicité de marchandises utilisées comme moyen de règlement ». Il s’appuie sur les anciens réseaux d’entreprises de la période soviétique. A noter que, effet secondaire non négligeable, en plus de faciliter le règlement des dettes de ses membres, le réseau de troc favorise l’écoulement de la production et permet de maintenir en vie de nombreuses activités.

La description du troc et de son fonctionnement étant posée, on peut s’interroger sur les origines de son essor et ses effets sur la monnaie officielle. On constate qu’il se développe et persiste alors même que l’économie russe connaît une relative stabilité monétaire et que le rouble reste la monnaie de référence. En fait, le développement du troc résulte en partie, non pas du rejet du rouble, mais à l’inverse de sa pénurie relative. Cette pénurie de liquidités est le  résultat des vagues successives de politique d’austérité monétaire mise en œuvre par la Banque centrale mais aussi, la conséquence du comportement des banques qui se détournent massivement du financement de l’économie pour « déployer des stratégies d’enrichissement à horizon court », c'est-à-dire spéculer, au détriment de l’activité productive ! Le troc apparaît donc comme une réponse des acteurs sociaux à la politique menée par les autorités monétaires et aux comportements bancaires. Et il ne fonctionne que parce que le rouble demeure l’unité de compte socialement reconnue : «  (…) c’est parce qu’il existe un système de prix monétaires prenant le rouble comme unité de compte auquel les acteurs économiques peuvent se référer pour réaliser leurs transactions, que les échanges réglés en nature sont possibles » 

 A travers l’exemple Russe, nous avons pu constater que l’essor du troc dans une économie ne signifie pas nécessairement une démonétarisation de cette économie, ni une crise de légitimité de la monnaie. Il constitue une réponse institutionnelle viable à la perte de confiance des individus dans les institutions monétaires et bancaires. Mais l’efficacité de ce système repose sur l’existence d’un réseau efficace et sur la permanence de la confiance dans une unité monétaire. Ces deux exigences font douter de la possibilité que ce système fonctionne en France où aucun réseau de ce type ne préexiste et  où la confiance dans la monnaie unique en place risque de s’effondrer en cas de crise grave.