Le spectre du capital
Par RST le mercredi, 3 juillet 2013, 22:17 - Notes de lecture - Lien permanent
Avertissement : C’est les vacances et je vais en profiter pour recycler les billets les plus importants à mes yeux que j’ai publiés pendant mon court passage chez Ragemag.
En première approche, il n’est pas totalement irréaliste de penser que tout a été dit, ou presque, sur le fonctionnement du capitalisme et son organisation en marchés, animés par une main invisible. On est donc légitimement exigeant lorsqu’un nouvel ouvrage nous est proposé qui prétend « interroger le système capitaliste, ses arcanes, ses modes de fonctionnement, la manière dont il se perpétue ». Et lorsque l’on referme « Le spectre du capital » de Joseph Vogl, on ne peut que constater que, finalement, tout n’avait peut-être pas été dit. En tout cas, pas de cette manière. Car le grand mérite de ce livre, écrit non pas par un économiste mais par un enseignant en lettres modernes, allemand de surcroit, est de proposer, au-delà de l’énoncé des faits historiques, leur mise en perspective en donnant un sens global à ce qui parfois peut paraitre ne pas en avoir pour, en fin de course, dégager une vision d’ensemble logique, originale et pertinente.
Ce livre devrait réjouir les partisans de ce qu’on appelle le 100 % monnaie. En effet, c’est à ma connaissance la première fois qu’est mise en évidence de manière aussi claire la relation directe entre le système actuel dit d’argent-dette et sa nature intrinsèquement instable. La création d’argent à partir du néant entraine un déséquilibre constitutif du système nous dit l’auteur, remettant en cause la possibilité même d’existence d’un équilibre. Or la théorie économique est née sous la forme d’une théorie de l’équilibre reposant sur le théorème selon lequel les signes monétaires en circulation devaient rester couverts par un équivalent en valeurs, comme l’or par exemple. La fin de l’accord de Bretton Woods en 1973, en sonnant le glas de l’étalon-or, a donné à l’argent papier « un destin inéluctable dans le cadre de la circulation internationale des capitaux ». L’histoire de l’économie financière – qui se rêve toujours en science – se confond alors avec celle de la recherche désespérée de cet équilibre afin de garantir la fameuse autorégulation tant fantasmée.
Face à des tentatives comme celle de Black et Scholes et leur célèbre équation du même nom « censée avoir pour les marchés financiers une signification analogue à celle de la mécanique newtonienne pour la physique » – et qui aura cette particularité, en partie liée à son caractère auto réalisateur, d’adapter la réalité économique à la théorie économique – on trouve la démonstration d’un Mandelbrot qui fait apparaitre « des processus incompatibles avec des concepts d’équilibre ». On en arrive donc à la conclusion que, comme l’a démontré Hyman Minsky, les crises, loin de n’être que des accidents sont en réalité le mode de fonctionnement normal du système. Ce sont les périodes de stabilité qui constituent les accidents. Joseph Vogl en conclut qu’ « on ne peut pas protéger les marchés contre leurs crises et leurs effondrements, mais on peut réduire la dépendance à leur égard » Vaste programme !
Il aurait été présomptueux de ma part de prétendre proposer ici le résumé complet d’un livre qui propose une analyse du fonctionnement du capitalisme que je qualifierais de philosophique. « Le spectre du capital » fait partie de ces ouvrages denses qui appellent à des relectures pour s’imprégner durablement des concepts qu’il propose. J’aurai donc l’occasion de revenir dessus dans de prochains articles.