Avant d’expliquer pourquoi je considère la prise en compte des compétences comme un mythe, arrêtons-nous un instant sur l’un des cérémonial les plus importants du décorum mis en place pour en célébrer le culte : l’entretien annuel. Celui-ci s’est développé et professionnalisé au cours de ces dernières années, passant de l’entretien convivial parfois officialisé dans un compte-rendu manuel à un exercice formalisé et informatisé nécessitant préparation préalable et consolidation finale. Or il se trouve – renfort bienvenu à ma thèse, d’une certaine manière – que son utilité a été récemment mise en cause par le cabinet d’audit et de conseil Deloitte qui n’y voit qu’une perte de temps. C’est effectivement le cas si l’on considère, conformément à la doxa officielle, que l’objectif réellement recherché est de mesurer les compétences afin de récompenser les employés méritants et de décider des promotions.

Mais ce ne sont pas les compétences qui permettent de grimper dans la hiérarchie, contrairement à ce qui nous est ressassé en permanence, mais bien plutôt, sinon l’incompétence – qui aide malgré tout à ne pas voir les problèmes et donc à ne pas avoir à les affronter –, l’ambition assise sur une confiance en soi à toute épreuve, un brin d’arrogance et un soupçon de narcissisme. Tout ceci est bien montré dans ce très bon article du Figaro.fr intitulé « Pourquoi les incompétents réussissent-ils mieux ?», validé dans l’article d’Atlantico.fr intitulé «Pourquoi être un salaud, ça paye » et confirmé dans cet excellent article (en anglais) « Why do so many incompetent men become leaders ? » qui explique en substance que les dispositions nécessaires à l’obtention d’un poste sont à l’exact opposé des compétences qu’il faut posséder pour bien faire le travail correspondant et que, in fine, les bons dirigeants sont une exception.

Ceux qui dirigent, bons ou mauvais, n’ont jamais eu besoin des entretiens annuels et de toute la propagande associée pour identifier les collaborateurs compétents afin de les utiliser au mieux pour servir leurs propres intérêts et leurs ambitions sans limites. Et s’ils prétendent officiellement accorder une quelconque importance au mythe des compétences, c’est bien pour enfumer la populace afin d’éviter qu’elle ne se pose les vraies questions. L’une de ces questions pourrait-être : pourquoi ne pas publier officiellement les salaires des uns et des autres s’ils ne reflètent que la juste rétribution de ces fameuses compétences objectivement identifiées et mesurées ? Une autre de ces questions serait : pourquoi, si le système officiellement en place joue vraiment le rôle que la propagande officielle prétend qu’il joue, existe-t-il des classements confidentiels dans lesquels  les collaborateurs sont positionnées les uns par rapport aux autres en fonction de leur supposé mérite déterminé lors d’obscures réunions connues sous l’anglicisme de « people review » ?  

Si l’on voulait réellement tenir compte des compétences, il faudrait s’en donner les moyens, notamment en jouant la transparence totale, en mettant en œuvre des méthodes adaptées (le « 360 degrés » pourrait en faire partie si il était généralisé) et, soyons fous, en introduisant un peu plus de démocratie dans l’entreprise, proposition certes paradoxale à une époque où la démocratie dans la cité est violemment mise à mal. Mais cela irait clairement à l’encontre de ceux pour qui la remise en cause du mythe des compétences professionnelles n’est pas envisageable tant ils y trouvent leur intérêt.