Le modèle de croissance allemand et la crise de l'euro : trois fausses évidences
Par RST le mercredi, 13 octobre 2010, 20:46 - Macroéconomie - Lien permanent
Comme je l’avais annoncé dans mon compte rendu du Colloque d’économistes atterrés du 9 Octobre, je vous propose ci-après l’exposé remarquable (légèrement reformaté pour les besoins du blog) de Till van Treeck, économiste à l’"Institut für Makroökonomie und Konjunkturforschung (IMK)" de Düsseldorf. Dans un français parfait, il a magistralement démonté, à l’aide d’explications simples appuyées par des graphiques et quelques chiffres significatifs, ce qu’il appelle les fausses évidences qui sont habituellement attachées au modèle économique allemand, et qui sont, selon lui, au nombre de trois. Ainsi, c’est le soit disant laxisme fiscal des pays dits périphériques qui serait à l‘origine de la crise de l‘euro, l‘Allemagne étant elle, un modèle de stabilité. Par ailleurs, des réformes structurelles auraient rendu l‘économie allemande plus performante que toutes les autres en Europe et enfin, la déréglementation du marché du travail aurait rendu l‘économie allemande plus créatrice d‘emploi que les autres. Les explications ci-après démontrent que la réalité, pour peu que l’on veuille bien regarder les chiffres en face, est sensiblement différente.
Fausse évidence N°1 : Les marchés financiers ont sanctionné le laxisme fiscal des « pays périphériques » (« PIGS » = Portugal, Irlande, Grèce, Espagne). L’Allemagne a mérité la confiance des marchés.
Fausse conclusion : rendre le Pacte de stabilité et de croissance plus strict afin d‘empêcher de nouvelles crises.
Une autre interprétation : L’Espagne et l’Irlande n‘ont jamais violé le critère des 3 % pour le déficit public entre 1999 et 2007. L’Allemagne l’a violé entre 2002 et 2005.
Conclusion: Limiter les déficits publics à 3 % (voire 0 %) n’a aucun sens. Le vrai problème sont les déséquilibres extérieurs. L’Allemagne déstabilise la zone euro en basant sa stratégie de croissance sur ses excédents extérieurs. Ceux-ci ne sont que la contrepartie de l’endettement (avant tout privé !) dans les pays déficitaires.
Fausse évidence N°2 : Les « réformes structurelles » ont rendu l’économie allemande plus performante que les autres.
Fausse conclusion: Aux autres d‘imiter les « réformes structurelles » allemandes !
Une autre interprétation : La croissance allemande a été assez faible et totalement dépendante de la demande extérieure (et de l’endettement extérieur des autres pays !). La demande intérieure, bien plus importante dans un grand pays comme l’Allemagne, est atone à cause de la stagnation des revenus de masse et d’un recul inédit de l‘Etat.
Conclusion: Le titre de « champion du monde de l‘exportation » n’est qu’une victoire à la Pyrrhus !
Le décalage constaté entre demande extérieure et intérieure en Allemagne s’explique par :
- les coûts
salariaux unitaires qui augmentent de 1,2 % seulement entre 1999 et 2007
(France 15,7 %, Grèce 23,6 %, Espagne 27,5 %, Portugal 24,7 %, cible
d’inflation de la BCE: environ 17 %).
- les
inégalités de revenus qui depuis l‘an 2000, se sont développés ainsi que la
pauvreté, plus vite en Allemagne que dans n‘importe quel autre pays de l‘OCDE
(OCDE, 2008)
- le fait que l’Allemagne
soit le seul pays industrialisé (mis à part le Japon) où les dépenses totales
du gouvernement ont diminué entre 1998 et 2008 (croissance moyenne dans
l‘UE-15: + 1.8 % par an)
Fausse évidence N°3 : La déréglementation du marché du travail et du système social ont rendu l‘économie allemande plus créatrice d‘emplois que les autres en Europe.
Fausse conclusion: Aux autres d‘imiter les réformes allemandes !
Une autre interprétation : L‘économie allemande a créé moins d‘emplois après les réformes que l‘économie française et moins que la moyenne de la zone euro. Mais les réformes ont contribué à aggraver les inégalités.
Conclusion: Il n‘y a pas de trade-off entre efficacité et équité !
Emploi et inégalités avant la crise :
Points de
croissance de l’emploi par point de croissance du PIB pendant le dernier boom
avant la crise (de début 2005 à début 2008):
- Allemagne :
0,43 (en personnes), 0,47 (en heures)
- France : 0,51
(en personnes), 0,50 (en heures)
- Euro-12 : 0,60
(en personnes), 0,61 (en heures)
Evolution du
coefficient de GINI au cours de la même période :
- Allemagne: + 4
- France : - 2
- Euro-12 : + 1
Conclusion :
Il faut un Pacte de stabilité européen visant les déséquilibres extérieurs. Le modèle de croissance allemand n‘est ni efficient économiquement (faible croissance), ni juste socialement (creusement des inégalités), ni compatible avec le projet de l‘euro (reposant sur l‘endettement des autres pays). Il faut réduire les inégalités partout en Europe pour rendre les économies plus stables. Sans augmentation suffisante des revenus de masse, la croissance dépendra soit de l‘endettement des ménages, soit des exportations