La plupart des pays du monde développé souffrent désormais du poids excessif de leurs dettes publiques, dont le niveau dans l’Union européenne s’échelonne de 47% du PIB pour le Danemark à 153% pour la Grèce. En France, elle a atteint 86% du PIB, soit une proportion proche de celle des Etats-Unis.
Mais le sujet de préoccupation le plus prégnant concerne le poids considérable du service de la dette dans le budget des Etats. En France, le paiement des intérêts de la dette est devenu cette année le premier poste du budget avec 46,9 milliards d’euros, devant ceux de l’Education nationale et de la Défense. Or, comme le diagnostique régulièrement la Cour des comptes, d’un déficit budgétaire au suivant, l’économie française enregistre des taux de croissance insuffisants pour permettre d’espérer mieux qu’une stabilisation de la dette. Pourtant, en 1974, la dette publique française ne représentait que 14,5% du PIB. Comment en est-on arrivé là ?
Pour le comprendre, il convient de se rappeler que, jusqu’en 1973, l’Etat partageait avec les banques privées le pouvoir de création monétaire. Concrètement, l’Etat pouvait emprunter auprès de sa banque centrale et lui rembourser au fur et à mesure de ses recettes, sans intérêts. Or, par la loi 73-7 du 4 janvier 1973, le Parlement français a supprimé cette possibilité en votant que «le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l’escompte de la Banque de France». L’article 123 du traité de Lisbonne a même consacré cette règle à l’échelle de l’Union européenne : «Il est interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales des Etats membres, ci-après dénommées "banques centrales nationales", d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux […] organismes ou entreprises publics des Etats membres.»
En pratique, cela signifie que les administrations publiques s’obligent à emprunter sur les marchés à obligations, avec intérêts. Ce sont les fameuses obligations assimilables Trésor (OAT). Depuis 1974, l’Agence France Trésor doit ainsi rémunérer les titres de sa dette, alors qu’auparavant l’Etat ne payait aucun intérêt. Or, la somme actualisée de tous les intérêts de la dette payés depuis 1974 représente en France près de 1 200 milliards d’euros, sur les 1 641 milliards du total de la dette publique.
L’idée vertueuse de ce mécanisme entré en vigueur en 1974 était d’inciter l’Etat à moins s’endetter, et donc à moins dépenser, afin de limiter les risques d’inflation. Or, avec le recul, on s’aperçoit que les curseurs économiques qui prévalaient avant cette réforme institutionnelle de 1974 sont bien plus enviables que depuis - notamment sur le front de la dette publique et de l’inflation - celle-ci s’étant même emballée au début des années 1980. Et de fait, selon le FMI, plus un Etat est endetté et plus ses marges de manœuvre sont réduites et ses phases de croissance limitées, avec les conséquences sociales que l’on connaît.
En outre, en participant aux adjudications des obligations d’Etat, les banques perçoivent des intérêts par un simple jeu d’écritures comptables, obligations qui sont ensuite intégrées dans divers produits financiers. Si le monopole de la création monétaire des banques peut se justifier pour les prêts aux entreprises et aux particuliers, à raison de la charge administrative que cela représente, la ponction massive et durable effectuée par les banques sur les budgets des Etats est une anomalie considérable préjudiciable aux citoyens.
Maurice Allais, notre unique prix Nobel d’économie, l’avait bien vu, et allait même jusqu’à préconiser, en 1999, dans un ouvrage intitulé la Crise mondiale aujourd’hui, que la création monétaire ne relève que de l’Etat. Une voie intermédiaire pourrait consister à redonner à l’Etat le droit d’emprunter sans intérêt à la banque centrale, dans une limite raisonnable proportionnelle à son PIB et d’une façon concertée dans le cadre de l’Union européenne.
La communauté internationale n’a aujourd’hui plus d’autre choix que de sortir intelligemment de ce système à la légitimité contestable, dans le respect de la valeur des obligations d’Etat existantes, sauf à devoir assumer à terme une hypoxie des économies, une succession de plans d’austérité et une montée du chômage.