Le premier intervenant, Philippe Hugon, directeur de recherche à l’IRIS a traité très classiquement  des risques et des opportunités que présente l’Afrique, en rappelant, pour l’oublier tout aussi vite, que l’Afrique est extraordinairement diversifiée. Son intervention a donné lieu à une question très pertinente de la part d’un spectateur qui lui faisait remarquer que la croissance économique de près de 5% dont il se réjouissait n’était pas nécessairement synonyme de développement. Il l’a volontiers admis en affirmant qu’il n’était pas un fétichiste de la croissance, sans néanmoins proposer d’autre critère plus adapté. Il a rappelé que du fait de son peu de connexion avec la finance, l’Afrique était moins touchée par la crise actuelle et que, paradoxalement, le problème de la dette n’en était plus un aujourd’hui. Il a aussi mentionné la montée des classes moyennes, constat qui m’a surpris et qui n’a pas semblé faire l’unanimité.   

Jean-Louis Martin du Crédit Agricole a présenté une étude chiffrée très intéressante sur les nouveaux partenaires économiques de l’Afrique que sont la chine, la Turquie, le Brésil, l’Inde et la Corée du Sud, en soulignant que ces pays investissent très peu dans la production industrielle locale. Les investissements se font principalement dans les infrastructures énergétiques. Les échanges commerciaux sont, on s’en doute, globalement déséquilibrés. J’ai été très surpris par ce qui m’a paru être une preuve étonnante de grande naïveté lorsque J.L.Martin a proclamé qu’il n’y avait pas la place pour la compétition entre les nouveaux et les anciens partenaires de l’Afrique et qu’il fallait une coopération entre pays émergents et pays industrialisés. Pour coopérer, il faut être deux et je n’ai pas du tout l’impression que la Chine ou la Corée, par exemple, en aient envie.   

L’intervention la plus remarquable fut indéniablement celle de Jean-Michel Severino, ancien Directeur de l’Agence française de développement, récemment reconverti en gérant de capital risque. Elle fut centrée autour de deux questions qui étaient pourquoi l’Afrique croit-elle et pourquoi dans le même temps l’aide qu’elle reçoit de l’extérieur croit aussi de façon significative ?    

Selon J.M.Severino la croissance économique s’explique par le boom démographique, l’urbanisation et le redressement des finances publiques. Même la corruption peut-être, selon lui un accélérateur de croissance ! Contrairement à J.L. Martin, il annonce que les exportations de biens manufacturés ont triplé mais reconnaît qu’elles restent néanmoins très modestes. Il constate donc des performances réelles et solides qui vont se poursuivre et signale au passage que le capital risque est rentable en Afrique alors qu’il ne l’est pas en France. Mais pour que ces performances se traduisent en terme de développement il faudrait que l’Afrique puisse exploiter son marché intérieur et trouver des débouchés dans les pays émergents. C’est d’ailleurs une des thèses défendues par quelqu’un comme Pierre-Noël Giraud. Or les exportations se font toujours aujourd’hui principalement vers les pays de l’OCDE.

En ce qui concerne l’aide au développement, J.M.Severino parle d’afflux d’argent "comme on en avait jamais vu."  Il rappelle que cette aide, utilisée initialement pour contenir le bloc soviétique, a fortement décru après la chute du mur de Berlin passant de 1% à 0,18 % du PIB de l’OCDE pour remonter à 0,32 % en 2010 et continuer à croître malgré la crise. Il voit quatre explications à ce qui pourrait apparaître comme un paradoxe : l’aspect humanitaire, la reprise de la guerre commerciale, l’émergence de biens publics globaux et le maintien durable de zones en extrêmes fragilité politique et sociale. J’avoue que les deux derniers arguments m’ont laissé perplexe puisqu’ils reposent sur une vision très particulière du monde. En effet, J.M.Severino défend le concept de filet de protection, de politique sociale planétaire, de fiscalité mondiale, de socle financier commun planétaire dont certains éléments seraient déjà en place (il a par exemple mentionné la taxe française sur les billets d’avion) et qui vont se développer dans les années à venir. J’avoue ne pas vraiment partager cette vision idyllique (ou cauchemardesque ?) de notre monde.  

En fin de compte, il est regrettable que les intervenants soient restés avec une vision que je qualifierais de très « économiste » de la situation. Cela se traduit par exemple par une position assez hypocrite sur un sujet comme la  corruption que l’on regrette au plan moral mais qu’on ne juge pas nécessairement néfaste sur un plan économique. Mais cela conduit aussi, à l’instar de J.M.Severino, à se réjouir en prédisant une performance économique remarquable pour les cinquante prochaines années malgré des crise politiques graves créées par l’instabilité et la volatilité politique que lui-même reconnaît. On en revient toujours à la même question, qui trouve une acuité toute particulière en Afrique : à quoi sert d’avoir une croissance du PIB si la grande masse de la population n’en profite pas, sinon à enrichir une minorité de privilégiés ? Est-ce vraiment le destin que l’on peut souhaiter au continent africain ?