Mais, à la vérité, j'ai toujours eu du mal à m'intégrer totalement dans un monde où la référence prioritaire était le profit. Un certain nombre d'hommes que j'ai rencontrés avaient pour seul objectif dans l'existence la progression de leur marge brute ou la rentabilité de l'instrument dont ils avaient la charge, sans considération pour la personne humaine. Des syndicalistes se servaient et mettaient leur objectif politique avant l'intérêt collectif. Je ne pouvais pas m'empêcher de regarder avec sévérité ces comportements égoïstes, voire cyniques. J'avais l'impression d'un gâchis humain et financier. Je retrouvais bien sur un vocabulaire guerrier, qui résonnait bizarrement en moi: conquérir un marché, défendre une position, se battre sur le front des prix, motiver les hommes... Mais cette guerre-là était surtout verbale. Elle s'appuyait d'abord sur ces passions humaines que sont l'appât du gain, l'orgueil, le gout du pouvoir et la volonté de puissance, reléguant souvent à l'arrière-plan le dévouement, le courage, la vérité, la responsabilité et l'humilité. Je ne retrouvais pas dans les relations professionnelles la belle nudité des rapports humains qui était le lot de mes aventures passées. Chacun restait sur son quant-à-soi, sans baisser la garde. La réussite telle qu'on la vénère aujourd'hui, à l'aune de l'argent, est-elle compatible avec la tenue et la dignité qui font l'honneur de vivre ? Je n'en suis pas tout à fait sûr.