C’est bien dans cette perte de sens que l’on trouve l’origine de nos malheurs actuels : « Quand la croissance est le seul horizon, plus aucune fin ne vient donner un sens à la finance, qui se trouve, pure accumulation de moyens financiers, sans aucune mesure pour gouverner son dynamisme. Voilà la raison pour laquelle c'est dans la finance que se dévoile au commencement le problème majeur posé à nos sociétés, problème lié à une volonté qui erre sans plus savoir ce qu'elle veut, sinon sa propre croissance. » Il faut lire ce texte dans son intégralité pour en saisir toute la puissance explicative et visionnaire qui fait dire à l’auteur que « c'est le statut de l'économie comme principe de gouvernement de nos sociétés qui est en cause » et qui lui fait affirmer que, contrairement à ce que l’on prétend généralement, l’Europe se retrouve aux avant-postes de l’histoire : « La ligne de partage entre les émergents et les autres ne tient pas à un taux de croissance, mais à un taux de croyance. »  

Et pour ne rien gâcher, c’est un économiste qui accorde l’importance qu’elle mérite à la monnaie :

« Son rôle a été majeur. Lorsque l'action économique n'est plus gouvernée par un horizon désirable, alors la monnaie n'est plus la mesure de la valeur, mais la valeur elle-même. Keynes est le premier à entrevoir cette possibilité, sans pour autant avoir la matière pour en envisager toutes les conséquences. Ce qu'il appelle pudiquement "la préférence pour la liquidité", dans un contexte encore largement régulé par la croyance dans l'abondance, prend pour nous une forme plus radicale : la préférence pour le cash - dans les échanges économiques comme dans les échanges interpersonnels, il s'agit d'être cash. C'est pour des raisons éminemment justifiées que la finance a pris le contrôle. La monnaie était un moyen de paiement et de financement, mais, quand il n'y a plus d'horizon à l'action économique, la monnaie devient le moyen et la fin : le bien économique majeur. »

A l’heure où il semble que des esprits aussi éclairés et éclairants qu’un Emmanuel Todd s’égarent dans un soutien incompréhensible au parti socialiste, il est heureux de voir apparaître de nouvelles têtes pour relancer et entretenir le débat. Je laisserai les mots de la fin à J.Batout en guise de conclusion : « Je comprends qu'on soit tenté par la relance ou, symétriquement, par la décroissance. Mais accélérer ou faire marche arrière ne résoudra rien. Il ne s'agit pas d'être pour ou contre la croissance : il s'agit de penser les termes de son dépassement. »

 

PS : on trouvera dans cet article "La grande correction : et si 2011 était la fin de la croissance entamée avec la révolution industrielle ?" publié sur le site Atlantico, une autre remise en cause de la croissance.