De doctes analyses nous expliquent aujourd’hui qu’il y aura eu deux phases dans notre appréciation collective du rôle de la Résistance : la surestimation de l’après-guerre, l’imagerie d’Epinal, voire le « mythe » gaulliste ; puis en contrecoup, un mythe de la dérision, celui d’une France absolument veule et attentiste, la France des « tous collabos » qu’ont illustré tant de livres et tant de films à la façon du très partial Le Chagrin et la Pitié. Je ne reviendrai pas sur l’injure faite à la mémoire de ces milliers d’hommes et de femmes qui se sont sacrifiés pour leur pays que représente cette dernière appréciation, qui semble être en vogue aujourd’hui. Je signalerai simplement que cette Résistance a permis aux Anglais de ne pas être écrasés durant les premiers mois de la guerre, ce qui, compte tenu de l’engagement tardif des Américains, n’est pas une mince victoire. Pour le reste, l’Allemagne aurait été forcément vaincue, et la France forcément libérée, avec ou sans ses résistants. Mais là encore, sans ces résistants, sans leur travail inestimable de renseignement, de sape, de propagande et de noyautage, sans leurs actions de sabotage, sans la mise en œuvre, à l’annonce du débarquement, des plans de paralysie du pays, sans leur entrée en guerre auprès des Alliés avec une efficacité que le général de Gaulle et le général Eisenhower compareront à celle d’une quinzaine de divisions, non seulement le débarquement aurait probablement dû être programmé bien après juin 1944, mais ses chances de succès auraient été largement amoindries, l’armée allemande étant encore loin d’être à bout de ressources, comme elle le démontrera lors de ses contre-attaques de 1945.
Enfin et surtout, une France libérée sans Résistance, sans avoir payé le prix du sang, aurait sans doute aucun connu une longue période de protectorat et d’humiliation. Il suffit pour s’en convaincre de se référer à l’analyse et aux plans de la Maison Blanche qui étaient fondés sur une considération aussi simple qu’impitoyable : « La France n’existe plus », considération qu’un Roosevelt, comme Jen Lacouture le rappelle, soutiendra encore ouvertement à Washington en juillet 1943, et devant un Français qui plus est, ce Français qu’il manœuvrait pour contrecarrer l’action de De Gaulle, le général Giraud. Sans cette Résistance dont l’apport politique aura été en cela inestimable, jamais de Gaulle n’aurait pu obtenir des Alliés que la France soit reconnue comme un partenaire à part entière dans la victoire.             

 Extrait de " Résister, Histoire secrète des années d'occupation" de Jacques Baumel